ARADIA

CHAPITRE XIII

Diane et les enfants

 

« Alors Diane lui apparut comme une chasseresse,

l'arc à la main,

et elle dit « sèche tes larmes ma fille, ! »

et la représentation disparut »

Chaucer –The Knight's Tale

Il y a bien longtemps vivait à Florence une famille noble, mais si appauvrie que leurs « giorno di festa » ou fours de fêtes n'étaient que rares et très espacés. Toutefois ils vivaient toujours dans leur Palais (qui se trouvait dans la rue aujourd'hui appelée La Via Citadella ) une belle construction ancienne, et bien qu'ils arrivassent à avoir toujours l'air digne, il y avait bien des jours où ils n'avaient rien à manger.

Le Palais était dans un grand jardin dans lequel se trouvait une statue de Diane, en marbre, la représentant comme une magnifique femme, accompagnée d'un chien qui avait l'air de courir. Elle tenait un arc à la main et son front était orné d'une petite lune. Le bruit courait qu'à la nuit tombée la statue prenait vie et se promenait, ne reprenant sa place que lorsque le soleil se levait et que la Lune se couchait.

Le père de famille avait deux enfants sages et intelligents,. Un jour ils rentrèrent, les bras chargés de fleurs qu'on leur avait offertes, et la fillette dit à son frère : « il faudrait en offrir quelques-unes unes à la femme à l'arc »

Alors ils déposèrent quelques fleurs aux pieds de la statue et ils tressèrent une couronne de fleurs que le garçon lui posa sur la tête.

A ce moment précis arriva le grand poète et magicien Virgile, qui savait tout sur les Dieux et les Elfes, et il leur dit en souriant : « vous avez fait votre don de fleurs à la déesse comme cela se faisait dans les temps anciens, il ne vous reste plus qu'à prononcer la prière comme il se doit, et ce sera ainsi (*) »

Et il leur fit répéter :

Invocation de Diane

Très chère Déesse de l'arc !

Très chère Déesse de la flèche !

Déesse de tous les chiens et de la chasse,

Qui veille dans les cieux étoilés,

Quand le soleil est allé se coucher,

Toi, avec la Lune sur ton front,

Qui préfère la chasse nocturne à la chasse diurne,

Avec les nymphes, et au son du cor,

Toi, chasseresse toi-même

Et la plus puissante de tous ; je t'adresse cette prière,

Pense, ne serait ce qu'un court instant,

A nous qui te prions (**)

(*) Il faut tenir compte du fait qu'il s'agit là d'une invocation, qui est un psaume ou un hymne. Par contre la Scongiurazione est une prière, bien qu'elle ait la forme d'une menace. Ceci n'existe que dans la magie classique.

(**) La partie la plus importante de cette magie réside dans la bonne intonation du texte, en quelque sorte comme pour les chants liturgiques ou les récitations arabes.

D'où l'apparente forme de prose de la plupart des incantations magiques.

Puis Virgile leur enseigna également la Scongiurazione ou Conjuration qui doit être dite si l'on souhaite particulièrement beaucoup de bonheur.

Conjuration à Diane

« Resplendissante Déesse de l'arc en ciel,

des étoiles et de la Lune !

Puissante Reine

Des chasseurs et de la nuit !

Nous requérons ton aide

Et puisse tu nous apporter

Toute la joie du monde »

Et il ajouta la conclusion :

« si tu accordes ton attention à notre supplique,

et que tu nous donnes le bonheur,

Fais-nous un signe (***)

(***) Il manque quelque chose ici, que l'on peut compléter grâce à d'autres

incantations du même type et ce devait être quelque chose comme

« si tu es bien intentionnée à mon égard,

et que tu acceptes d'entendre ma prière,

j'entendrai l'aboiement d'un chien,

le hennissement d'un cheval,

le coassement d'une grenouille,

le chant d'un oiseau,

les trilles d'un grillon

etc... »

en général sont énumérés 3 ou 4 de ces bruits d'animaux. Ils changent plus ou moins, mais restent toujours dans le même esprit. D'autres fois on demande un signe non pas auditif mais visuel, tel que les éclairs. Si on aperçoit un cheval blanc, c'est le signe que la prière sera exaucée dans les prochains jours. C'est également un signe de victoire

Et après qu'il leur eut apprit tout cela Virgile s'en alla. Les enfants coururent chez leurs parents, pour leur raconter ce qui venait de ses passer, et ceux ci leur firent promettre de ne rien raconter de cela à quiconque, Quelle ne fut leur surprise, le lendemain, de trouver aux pieds de la statue un cerf fraîchement tué, qui leur apporta de bons repas pendant plusieurs jours, et ils ne manquèrent plus jamais de gibier car la prière avait été prononcée correctement.

Dans leur voisinage vivait un prêtre, qui détestait tout ce qui n'appartenait pas à sa religion, et tout particulièrement l'adoration des anciens Dieux. Un jour qu'il passait près du jardin il vit la statue de Diane décorée de roses et d'autres fleurs.

Plein de colère, il trouva dans la rue une tête de chou pourrie, qui traînait dans la boue, et il la jeta à la tête de la Déesse en disant :

« hors de ma vue, vil objet d'idolâtrie,

voici l'hommage que tu auras de ma part,

et que le diable s'occupe du reste »

Alors le prêtre entendit une voix qui venait d'entre les feuilles et qui disait :

« Qu'il en soit ainsi ! Je te préviens,

Toi qui m'as apporté une offrande,

Que je te rapporterai quelque chose de ma chasse,

Demain tu auras ta part »

Toute la nuit le prêtre fit des rêves horribles, et quand enfin, peu avant 3 heures il s'endormit, il fut tiré de ce sommeil par un cauchemar dans lequel il lui semblait sentir quelque chose de lourd sur sa poitrine. Et en vérité quelque chose tomba de lui et roula par terre. Et quand il sortit de son lit et se baissa pour regarder la chose dans la lueur de la Lune, il vit qu'il s'agissait d'une tête humaine, à moitié décomposée. (*)

(*) La testa d'un uomo piena di verme e puzzolente, une parodie de la tête de chou pourrie, bien plus réaliste en italien que dans les traductions.

Un autre prêtre, entendant son cri d'horreur, entra dans la chambre, et après avoir jeté un coup d'oeil à la tête, dit

« je connais ce visage ! C'est celle d'un homme que j'ai confessé et qui a été décapité il y a trois mois à Sienne »

Et trois jours plus tard le prêtre qui avait manqué de respect à Diane mourut.

Cette histoire ne m'a pas été présentée comme faisant partie de l'Evangile des sorcières, mais plutôt comme une partie d'une grande série d'histoires présentant Virgile comme un magicien. Mais elle a toutefois sa place dans ce livre, car elle contient l'invocation et la conjuration de Diane, qui sont particulièrement belles et originales. Quand on se souvient que ces hymnes ont été préservés par des vieilles femmes, et sans aucun doute transformées lors de chaque transmission, il est merveilleux de voir qu'il reste tant de beauté dans ce texte, comme par exemple :

« Très chère Déesse de l'arc !

très chère Déesse de la flèche !

toi qui es dans le ciel étoilé »

Robert Browning est un grand auteur, mais si on compare tous les textes italiens au sujet de Diane, avec ce qu'il a écrit de remarquable sur Diane-Artemis, les critiques impartiaux devront bien admettre que les premiers sont aussi beaux que celui qui suit et qui est l'oeuvre de Browning :

« Je suis une Déesse de la cour d'Ambroisie (l'Olympe)

et, à part Héra, la plus fière de toutes les Reines,

personne n'est au-dessus de moi,

dont le temple éclaire le monde ;

A travers le ciel je pousse ma lune lumineuse,

Dans les enfers j'apporte la paix à mes pâles amis,

Sur terre je veille sur toutes les créatures

Et me soucie de chaque louve jaune prégnante,

Et de chaque renarde pelée

Et de la mère ailée de chaque nichée

Et de tous ceux qui aiment les endroits verts et leur solitude »

Ceci est charmant, mais c'est uniquement une imitation, qui n'égale ni en forme ni en esprit les incantations, qui sont sincères dans leur foi. Et on peut malheureusement constater ici, et c'est vrai, que dans leur manipulation moderne de sujets classiques mythiques, les auteurs ont, malgré tout leur génie artistique, produit des travaux rococo qui apparaîtront comme tels à une autre génération, simplement parce qu'ils ont oublié, ou ignoré, quelque chose de vital que les folkloristes n'auraient probablement pas perdu. J'ai vu une peinture d'Achille à qui on avait mis une perruque style Louis XIV et un cimeterre turc, et il eut été bon que le peintre soit un peu plus familiarisé avec les vêtements et les armes grecs.

 

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