Le Masque du Corbeau

par Evan John Jones

Imaginez des corps sur un champ de bataille du Nord. Il devait être normal d’y voir des corbeaux charognards, puisque les morts et les blessés pouvaient rester sur place pendant des journées avants d’être emportés, s’ils l’étaient un jour. L’image du corbeau se posant sur le corps d’un homme mort ou blessé devait mener à la conclusion que lorsque l’oiseau s’envolait, il emmenait avec lui l’âme du guerrier décédé. D’où le personnage de la Morrigan, la Déesse celte de la guerre, dangereuse et sournoise, choisissant ceux qui allaient mourir, les marquant du sceau de leur mort future, et les emmenant dans son château. De même, dans la danse rituelle, le Corbeau emmène les danseurs dans le Monde du Dessous pour que leur esprit puisse s’abreuver au Chaudron d’Inspiration et de Connaissance avant de revenir dans ce monde. Il est intéressant de noter que lors du siège de Druine Damnggair, le Druide Irlandais Mog Ruith avait invoqué le taureau sans cornes de Dun et mit sa Enchennach ou robe d’oiseau pour cacher le taureau avant d’agir magiquement contre les défenseurs. Ses actions furent une forme rituelle de métamorphose avant un travail magique.

Cette connexion avec la mort, les âmes et le Monde du Dessous donne à cet oiseau de « mauvais augure » une place importante dans le rituel du masque et de la danse.

Peut être une des parties les plus importantes du rituel de la magie à laquelle j’ai pu assister fut le chant du Danseur / Corbeau lors d’un sortilège. Dans un sens, c’est plus un aspect du Corbeau qu’un rituel dans le groupe.

 

Je suis Corbeau

Celui qui hante le champ de bataille

Messager de ma Maîtresse

La Déesse au Blanc Visage.

Par la Terre… par l’Air… par le Feu… par l’Eau.

Et sous la Lune, le symbole de notre Déesse

J’affirme que les cornes du Dieu

Sont tâchées du sang du sacrifice

Sacrifice qui sera fait.

Pour vous ce sacrifice est de mourir

Car votre sang est dédié au Dieu Cornu

Et votre corps est destiné aux carnassiers

Les flammes et le feu purificateur

Sépareront vos chairs de vos os

Et brûleront le mal qui est vous

Votre âme réclamera agonie et damnation

Et mes talons perceront votre cœur encore palpitant.

Folie et terreur marcheront main dans la main avec vous

Et vous resterez maudits pour l’éternité

Car je suis Corbeau et vous devez apprendre à me craindre

Car je suis Celui qui dévore et le messager

Du côté sombre de la Déesse

Vous êtes maudits

Et maudits vous serez

Car vous êtes l’essence

De ce que nous voyons comme le Mal

Et le mal qui est en vous

Doit mourir en même temps que votre âme

J’ai parlé, il en sera ainsi.

 

Mais le corbeau est bien plus que la personnification de la sombre vengeance. Même de ce côté de la mort le corbeau doit être vu comme un oiseau de mauvais augure qui emporte les âmes de ceux qui viennent de mourir. Dans le même temps, il faut se souvenir que l’âme du mort va en un lieu de calme et d’oubli dans l’attente du moment de la re-naissance. C’est dans ce contexte que le danseur Corbeau remplit son rôle dans les rites. Le Corbeau conduit la danse le long du chemin en spirale qui va vers le centre du labyrinthe, ensuite il conduit les danseurs à nouveau vers l’extérieur du labyrinthe. Dans le même ordre d’idée, le chemin en spirale symbolise la spirale de la vie. Les danseurs vont vers le centre qui représente le Château / Tertre sépulcral où règne le Dieu Cornu / Roi Cerf. En faisant cela chaque danseur mime une pseudo-mort, pour renaître ensuite après avoir assimilé les leçons ou secrets qu’on ne peut trouver qu’après la mort. Lorsqu’on refait le chemin à l’envers en se dirigeant à nouveau vers l’extérieur, on re-naît symboliquement en revenant dans ce monde.

Un autre aspect du personnage du Corbeau vient de la mythologie nordique : les Corbeaux Jumeaux d’Odin nommés Pensée et Mémoire. Lorsque nous empruntons le chemin en spirale, même de manière symbolique, nous espérons nous rappeler les souvenirs cachés de nos vies antérieures qui sont scellées dans l’entité que nous nommons l’âme. Ce concept chamanique est toujours utile de nos jours car nous ne sommes pas uniquement confrontés à nos mémoires et pouvoirs internes mais aussi aux forces externes qui sont autour de nous, même les pensées qui sont cachées là où se fabrique la vie et la nature du monde où nous sommes nés.

Le Corbeau tient le bâton lorsque le groupe ou coven emprunte rituellement le chemin en spirale. Le Roi Cerf, symbole du Dieu Cornu, donne le bâton au Corbeau, ce qui indique que le Corbeau est maintenant le messager de la Déesse. Le Corbeau guide maintenant le groupe dans la danse du « Moulin » lorsque son instinct dicte au Corbeau que le moment est arrivé, le groupe passe à une danse en spirale ou en labyrinthe. Ce peut être la simple spirale des Sorcières ou une forme plus compliquée de danse labyrinthique, le but de la danse reste le même, désorienter le corps et l’esprit dans ce monde, laissant l’inconscient ou l’esprit libre de passer du monde physique au monde psychique.

Il faut créer l’image de ce voyage dans le subconscient et créer une série de repères qui nous guident vers le centre ou le cœur de la réalité que l’on exprime sous la forme du Château et du Vestibule où se trouve le chaudron de la Déesse au Blanc Visage.

Si elle est bien exécutée, la danse du corbeau donne le sentiment et la connaissance qu’il y a une autre entité, puissance ou force qui répond au rite et en même temps elle nous fait nous souvenir d’une partie du labyrinthe ou du chemin en spirale Au même moment il y a un sentiment sous-entendu d’éloignement, d’intemporalité, de moment qui semble franchir le temps, les lieux et les distances. On réalise aussi que le concept du Dieu et de la Déesse est bien plus grand qu’on ne peut l’imaginer, englobant toute création, vie, nature et finalement mort dans le passé, le présent et le futur. Tout le concept est sans fin, se répétant encore et encore, et vous, comme partie de ce cycle, vous y êtes enfermé jusqu’à ce que l’étincelle du Divin que l’on nomme l’âme soit prête à ne faire plus qu’un avec le Divin dont elle est issue.

Le Corbeau qui danse est un concept ou un symbole, il est présent dans de nombreuses cultures. Dans le cas des rites contemporains de danse masquée, il doit y avoir une fertilisation croisée d’idées anciennes et modernes, pour favoriser les buts pour lesquels travaille le groupe. Presque tout ce qu’on ramène du cercle ou du labyrinthe ne sert pas uniquement au travail futur, mais aide aussi à comprendre quelque chose à votre sujet, quelque chose au sujet du sens de la vie et de ce que peut être pour vous la vie à titre individuel. Ainsi les corbeaux jumeaux « Pensée et Mémoire » détiennent les clefs du futur et du lieu où le présent et le futur peuvent d’une certaine façon être façonnés pour former un passé qui adviendra.

En plus de cela, le corbeau est un truqueur – dans le sens où il doit créer l’illusion qu’il y a un tout dans la danse du Corbeau, créer en chaque danseur l’image mentale du chemin qui va jusqu’au centre du labyrinthe. Qu’il s’agisse de parcourir le labyrinthe physique ou le labyrinthe mystique que l’on voit de son œil intérieur et qui nous conduit au château puis dans le vestibule de la Déesse qui est une des pièces du château.

Dans un sens, le corbeau doit créer quelque chose à partir de rien et lui donner une forme que l’on peut reconnaître pour que le voyage dans le labyrinthe ou la spirale soit un voyage enchanteur. Pour l’œil de l’esprit, le chemin devient un sentier avec trois mouvements, un virage et un retour qui mène peu à peu à la clairière où se trouve le château. C’est le Corbeau qui guide, mais pas le danseur corbeau / homme de la réalité, c’est l’oiseau lui-même, qui vole de branche en branche, menant le groupe de plus en plus profondément dans les bois.    

Pour comprendre entièrement cela, il faut réaliser que cette illusion prendra, avec le temps, un air de réalité, même si cette réalité ne sera que mentale. Une partie du rôle du Corbeau sera de créer cette atmosphère, en tissant un sort de mots et de gestes et chaque personne présente doit accepter cette atmosphère et la laisser prendre possession de lui jusqu’à ce qu’il commence à la vivre et l’expérimenter comme un fait plus que comme une illusion. Par-dessus tout nous devons accepter cette illusion pour ce qu’elle est, et en même temps, être aussi capable d’en tirer des leçons. Car c’est dans cet état de vision rêvée que vous rencontrez la Déesse que vous avez choisie d’honorer de votre plein gré, face à face.   

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Le Cercle de la Pierre Sorcière Wica et Sorcellerie