Le Chevreuil dans le Bosquet
par Evan John Jones
Dans une des lettres qu’il a écrite à W.G. Gray au sujet
de l’« Ancien Membre », un rite du clan, Cochrane mentionne aussi le « Chevreuil
dans le Bosquet » qui est également un des mythes du clan. Plus d’une fois, ceux
qui ont vu ces lettres, qui m’ont été données par Bill Gray juste avant sa mort,
m’ont demandé ce qu’il entendait par là. De nombreuses interprétations de ce
concept ont été faites par des groupes qui n’en ont jamais entendu parler ou en
des termes très vagues. Ainsi, tout comme pour le mythe du Bâton, de la Rose
au-delà du Tombeau et du Château, il est peut être temps de le présenter à un
auditoire plus large que notre petit groupe qui se réunissait autour de Cochrane.
Tout d’abord et avant tout, le « Chevreuil dans le
Bosquet » représente l’esprit de sacrifice et d’autorité. Il peut aussi
représenter l’idée du sort ou de la destinée qui crée le futur que nous tous
allons vivre. C’est un symbole de sacrifice qui, plus qu’un simple symbole
sorcier, est basé sur un concept ancien et universel. Il y a de nombreuses
cultures où un animal est bloqué par ses cornes dans un bosquet ou un buisson,
et qui devient ainsi celui que l’on sacrifie en lieu et place d’un homme. C’est
une idée tellement répandue que le motif de Ram dans le Bosquet fut utilisé, par
exemple, pour décorer des pieds de tables dans la ville sumérienne d’Ur.
Le même concept est mentionné dans
la Genèse, lorsque Dieu demande à Abraham d’emmener son fils Isaac dans la
région de Moriah et de monter sur la crête de la montagne qu’il avait choisie.
Là, Abraham devait construire un bûcher et y sacrifier son fils en l’honneur du
Seigneur. Abraham s’apprêtait à le faire et, lorsqu’il est sur le point
sacrifier Isaac, Dieu lui dit de regarder derrière lui et qu’il trouvera là un
sacrifice plus approprié. Abraham le fit et trouva un bélier pris au piège, par
ses cornes, dans un buisson. Il le prit et l’offrit à Dieu en lieu et place
d’Isaac. Si ça ce n’est pas un premier exemple de sacrifice substitutionnel,
alors je ne sais pas ce qui en est un.
L’unique différence
entre cela et le concept même du « Chevreuil dans le Bosquet », c’est que pour
nous le Cerf a toujours été un animal sacré, même s’il est et a toujours été
chassé pour sa viande. Dans le passé, lorsqu’un cerf était tué, sa tête pouvait
servir d’offrande rituelle à l’Ancien Dieu Cornu en signe de sacrifice ainsi
qu’en remerciement pour cette mort. Même de nos jours, il y a toujours une
certaine mystique dans la mise à mort d’un cerf et l’on ne manque pas de faire
faire un « trophée », qui sera en général accroché à un endroit où tous pourront
l’admirer.
Etudions un événement historique raconté par Lady
Stenton dans son livre « English Society in the Middle Ages ». En 1255, un
groupe de chasseurs a tué un magnifique cerf dans la forêt de Rochingham. Ils
lui ont coupé la tête et l’ont accrochée face à l’Est à un mat dans une
clairière. Par hasard, ils avaient un fuseau avec eux et l'ont placé dans la
gueule du cerf. Si nous croyons Lady Stenton, ce n’était rien de plus qu’une
blague un peu crue destinée à se moquer du roi d’une manière assez surprenante.
Ce que ne dit pas Lady Stenton, c’est en quoi, en faisant cela, on se moquait du
roi. Elle ne dit pas non plus pourquoi un groupe de chasseurs avait bien pu se
munir d’un fuseau. Si nous revenons sur cet événement et si nous l’étudions avec
une approche Sorcière, en se souvenant en même temps du concept du « Chevreuil
dans le Bosquet », qui symbolise le destin et le sacrifice, alors toute la scène
prend une nouvelle signification. Ce qui est décrit était le rituel d’offrande
du vieux Chevreuil dans le Bosquet.
Tout d’abord d’un point de vue
Sorcier, les personnes ayant chassé le cerf devaient être membres de la classe
dirigeante, qui seule pouvait chasser ouvertement dans ce qui devait être une
réserve de chasse privée. A cause des lois bien plus draconiennes de cette
époque, la seule manière qu’avait un paysan de chasser un cerf était de le
braconner et, dans ce cas, il ne l’aurait certainement pas signalé en accrochant
la tête sur un mat à la vue de tous. La carcasse, tout comme l’acte en lui-même,
aurait été bien dissimulée. Deuxièmement, dans de nombreux procès en
sorcellerie, vous conservez l’impression que derrière les accusés il y avait
d’autres personnes qui restaient dans l’ombre, et qu’on n’arrêtait ni ne jugeait
jamais, à la différence de tant de sorcières issues de classes plus modestes.
Ainsi, pourquoi un
petit, mais tout de même fortuné, propriétaire terrien voudrait-il avoir une des
toutes premières places dans une organisation interdite ? C’était une époque
pleine de superstitions ; on disait même que l’air était peuplé d’entités
invisibles et la plupart des gens vivaient dans une très grande peur du Diable
et de tout ce qui le concernait. Quelle meilleure position pour un petit
propriétaire terrien, qui dépendait probablement d’un seigneur plus important et
dont la subsistance dépendait du travail bénévole de paysans et des serfs, que
d’être le Grand Maître de l’ancienne religion pagano-magique de leurs ancêtres ?
Ce que nous devons garder à l’esprit, c’est que la grande majorité de la
population, dont les racines païennes ne sont pas très loin, se souviendra du
Grand Maître des rassemblements. Il est aussi le représentant du Vieux Cornu,
Dieu sur Terre, dont les paroles faisaient, à une certaine époque, fonction de
loi.
Pour aller encore plus loin dans ce sens, ils n’avaient
pas besoin de connaître l’identité réelle du Grand Maître (qui a dit que le
système des cellules est une invention de l’espionnage contemporain ?). Ainsi,
lors d’une réunion spéciale, on disait aux coven que le vieil untel qui fut un «
bon camarade » devait être laissé seul, tandis que le vieil untel était un
mauvais camarade contre qui la magie du coven pouvait être utilisée. La
tentation de s’en servir pour accomplir les dessins propres du Maître a toujours
été là. Comme la Sorcellerie était très morcelée et désorganisée, cela pouvait
se faire même si le Grand Maître ne faisait que semblant de servir la tradition.
Mais je suspecte que tout de même un grand nombre d’entre eux croyaient toujours
aux pouvoirs de l’Ancienne Foi, comme les évènements de la forêt de Rockingham
le montrent.
En plaçant sur un mat, face à
l’Est, la tête coupée du cerf, l’esprit du mort était offert au Jeune Dieu
Cornu, symbolisé par le soleil levant, en paiement d’un cycle de sept années de
pouvoir. Il était sacrifié en lieu et place de la propre vie du maître. Les
douze autres chasseurs devaient être des membres moins importants du clan. Ils
étaient là pour observer le sacrifice et témoigner que tout s’est déroulé selon
les règles de la Foi. Cela place solidement l’acte dans son ensemble dans le
mythe du sacrifice substitutionnel, et cela seul le Maître d’un coven ou d’un
clan pouvait le faire.
Pour ce qui est du
fuseau placé dans la gueule du cerf, il s’agit d’une référence claire au vieux
concept anglo-saxon des Wyrd, des Parques ou du Destin. Comme dans de nombreuses
autres cultures, le destin est représenté sous la forme de trois sœurs. Comme
filles de la déesse de la Nuit, elles sont celles qui tissent le fil du destin
de chacun dans le temps et l’espace, elles créent le passé, le présent et le
futur qu’il nous faut vivre. Une des sœurs crée le fil, l’autre sœur le tisse
dans le tissu de l'existence et la troisième coupe le fil de la vie lorsque le
moment est venu.
Etrangement, les Trois Sœurs sont aussi les gardiennes
du Chaudron de Création, qui est un endroit où le passé, le présent et le futur
sont encore et toujours dans un état de flux, de mouvement et où le futur n’est
pas figé. Ce serait de ce même chaudron que les Parques tirent le fil de la vie
de chacun. Avec ce que nous nommons la vie, commence la trame de l’existence qui
est tissée dans les variations de temps, avec une place préétablie. Le moment de
la mort est également tissé dans cette trame. Lorsque le fil est coupé, l’âme
retourne dans le chaudron jusqu’à une nouvelle renaissance.
Si l’on considère d’un côté la vie du cerf et de l’autre
celle des chasseurs, le fil de la vie de chacun est parallèle sur la chaîne du
temps, que la destinée a déterminé lorsqu’ils sont nés. La destinée détermine
aussi qu’à un certain moment le chasseur rencontrera le chassé et l’un des deux
mourra. Cette mort sera aussi une partie du sacrifice à l’Ancien Dieu Cornu de
la forêt. Dans le même temps, les Trois Sœurs auraient aussi pu décider que le
chasseur sera tué par le cerf. Dans ce cas, le destin aurait décidé que le
chasseur, en tant que Maître de l’assemblée, avait fait son temps et que le
moment était venu pour son âme de regagner une fois encore sa demeure.
Après avoir lu cela, le lecteur
peut penser : « en quoi est-ce que cela nous concerne ? ». C’est une bonne
question. Dans la même lettre, Cochrane a aussi écrit : « Le chasseur, le vieux
Tubal Cain et le Chevreuil ne font qu’un et représentent la même Présence Divine
sous la forme du destin. En disant cela, Cochrane exprimait fermement sa foi ;
dans un sens religieux, nous sommes tous ce que nous sommes parce que le destin
en a décidé ainsi. Nos vies suivent le chemin qu’a dessiné pour nous le destin ;
ainsi lorsqu’un changement survient dans notre vie, les choses peuvent ne pas
aller exactement comme on le souhaite. Voilà le prix qu’il nous faut payer pour
nous être soumis à la volonté d’Hécate. Une chose que nous avons promis lorsque
nous avons été initiés en Sorcellerie.
Dans le cas de
Cochrane, il s’est toujours vu, à un certain niveau, comme celui qui, plus tard,
dirigera l’ensemble des coven traditionnels. Dans le même temps, dans une autre
lettre à Bill Gray, il montre combien il savait que cela ne sera jamais le cas.
Dans cette lettre, il affirme catégoriquement que, comme Gray, il ne vivra pas
assez longtemps pour voir le résultat de ce qu’il a entamé, ce qui s’est
effectivement réalisé. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui s’intéressent à ce
que Cochrane a fait et mis sur pied, bien plus qu’au cours de sa vie, et
Cochrane acceptait cela comme faisant partie de son destin. Cochrane disait que
le « Chevreuil dans le Bosquet » était le symbole de tous ses espoirs et
aspirations, et il est devenu le sacrifice à la réalité du « pouvoir qui nous
mène sur un chemin précis, il n’y a rien à y gagner. Nous faisons ce qu’on nous
dit de faire en protestant, en nous plaignant, et même parfois en geignant, non
pas parce que nous sommes esclaves de quelque chose qui nous dirige, mais parce
que celui ou ce qui décide du futur sait pourquoi ».
Dans un sens, lorsque nous commençons à rechercher la
Déesse et sa magie, nous devenons le chasseur. Lorsque nous l’avons trouvée,
nous devenons la proie, car la Déesse nous prend et nous fait sienne pour
toujours. Quelles que soient nos protestations, lorsqu’elle tisse sa toile de
magie lunaire, nous sommes pris et voilà le sacrifice que nous impose le destin,
parce que nous sommes ceux qu’elle aime.
Comme le Chaudron de Création, qui
n’est jamais figé, le concept du « Chevreuil dans le Bosquet » est en évolution
constante. A une époque, il symbolisait l’animal sacrifié à sa place par le
prêtre-roi d’un groupe tribal, en échange de sa propre vie et du renouvellement
de sa charge pour une nouvelle période. Plus tard, l’animal était sacrifié à la
place du Maître d’un grand nombre de coven, aussi bien qu’à la place du maître
d’un seul coven. Ce n’est après tout qu’une légère modification du concept de
base, même si cela montre le déclin de la vieille foi païenne. On constate ainsi
que la Sorcellerie évolue en même temps que les gens. Dans l’interprétation
moderne du Chevreuil, il y a un changement radical, puisque le Maître n’a plus à
payer le prix du sang au terme de sa charge ; l'accent est ainsi mis sur le
sacrifice, mais il est devenu un sacrifice individuel.
Bien que Cochrane
ait été le Maître de notre ancien groupe, il était aussi le Chevreuil dans le
Bosquet ; lorsque quelque chose allait de travers ou lorsque les choses
n’allaient pas comme elles le devaient, il en prenait toute la responsabilité.
Lorsqu’un des membres avait un problème, en général, il le prenait à sa charge.
Plus encore, il se chargeait des novices et essayait de nous faire surmonter ce
qu'il appelait « les mystères du Clan de Tubal Cain » tout en sachant
parfaitement qu’il y aurait un prix à payer pour tout cela et qu’il serait un de
ceux qui devront en payer le prix. Dans son cas, c’était le sacrifice de ce
qu’il appelait son propre navire magique.
Pour le futur, je pense pouvoir parier que le «
Chevreuil dans le Bosquet » changera encore.
a - Parce que, comme beaucoup d’autres concepts
Sorciers, il n’est pas gravé dans le marbre,
b - et, à une autre époque et à un autre endroit,
d’autres groupes voudront probablement exprimer d’autres idées concernant
l’esprit de sacrifice et découvrirons que le concept du vieux Chevreuil convient
à merveille, si on l’utilise symboliquement.
Finalement, pour les lecteurs qui trouvent que l’idée du
chasseur et de la proie qui sont d’une certaine manière connectés magiquement
l’un à l’autre est un peu datée, laissez-moi vous assurer qu’il n’en est rien.
Depuis des siècles, les habitants des Alpes autrichiennes considèrent le chamois
un peu de la même de la façon que nous considérons le cerf, c’est un animal
spécial et magique. Même de nos jours, lorsqu’un chamois est chassé et tué, la
carcasse de l’animal est descendue de la montagne et les guides ainsi que les
gens du cru font une cérémonie et le photographient pour commémorer cette mort.
Ce n’est pas pour glorifier le chasseur, mais plutôt au contraire pour honorer
la proie.
Une partie de la cérémonie
implique l'utilisation de deux brindilles de genévrier. L’une est trempée dans
le sang de l’animal avec quelques longs poils de son bas ventre, qui seront
donnés au chasseur pour qu’il les mette à son chapeau. La seconde brindille est
placée dans la gueule du cerf mort avec l’intention magique réfléchie de
connecter le chasseur et le chassé. Dans le même temps, la brindille de
genévrier agit comme une protection contre l’esprit du chamois qui pourrait
vouloir se venger de son assassin. Ce n’est plus qu’une vieille coutume, mais on
y retrouve une vieille croyance où le chamois était considéré comme différent et
n’était pas traité de la même manière que les autres animaux à cornes, qui eux
étaient tués sans que cela donne lieu à une cérémonie.
Le chamois était
différent, car son lien avec l’ancienne déité cornue était connu. Cela le dotait
d’un esprit ou d’une âme spéciale puisqu’il était à l'image de l’ancien Dieu des
troupeaux de chamois. Ainsi, dans les vingt quatre heures qui suivaient sa mort,
cet esprit pouvait se venger de son tueur, d’où la protection magique de la
brindille de genévrier. Cela tiendra captif l'esprit jusqu'à ce que le choc de
sa mort et que son attache avec sa vie passée se soit suffisamment affaiblie
pour briser ses liens avec sa vie terrestre. Il ira ensuite vers les montagnes
de l’autre monde où il sera libre d’errer sans aucun danger, sous la protection
de son dieu et créateur cornu. Bref, une représentation vivante du concept
séculaire e du destin du Dieu Sacrifié dans sa forme animale.
Ainsi, lorsque nous parlons du «
Chevreuil dans le Bosquet », nous ne parlons pas d’un concept du passé qui est
gravé dans le marbre et n’évolue plus, mais de quelque chose de fluide et
susceptible de changer, tout en restant profondément enraciné dans l’ancien
concept de l’animal que l’on sacrifie à la place d’une personne et qui, comme
nous le savons tous, tient une place importante dans les anciens rites. De nos
jours, il est devenu le symbole de l’esprit de sacrifice dans l’idée que lorsque
l’initié, lorsqu’il fait le serment du coven, se soumet à la volonté d’Hécate.
En un sens, en faisant cela, il devient le Chevreuil dans le Bosquet, car il a
choisi de suivre un chemin qu’elle a choisi pour lui. Peu importe où cela le
mène, car c’est ce que les Parques ont décidé et qu’il a choisi en connaissance
de cause d’accepter.