Loups-Garous, Sorcières

et l'Arbre du Pendu
Par Nigel Jackson


Au-delà des limites du village, au-delà des limites du monde familier, des lieux sauvages et isolés nous entourent, l'obscurité effrayante de la destruction extérieure. Là-bas des loups hantent les anciennes forêts ténébreuses de leur maître Cernunnos, leurs yeux brillent d’une lumière sinistre.
Les bêtes grises et maigres errent sur les pierres et hurlent dans les rochers escarpés lorsque la lune se lève en un effrayant hommage à Notre Dame des Loups, leur cruelle maîtresse qu’est l'Abominable Sorcière. Pour cette raison le monde de Hel/Annwyn est le domaine de la mort, du mystère et du pouvoir.
Le loup a toujours le pouvoir de provoquer une « sainte terreur » dans notre conscience héréditaire la plus profonde et pénètre les profondeurs cachées de notre mémoire atavique. L’ancienne connaissance des loups-garous et de ceux qui se changent en loup conserve les thèmes importants des Mystères de Loup de l'ancienne Europe. Ce culte lycanthropique nous ramène loin dans le passé dans l'antiquité indo-européenne ce qui est attesté par le Clan Indo-Iranien nommé Haumavarka (les Loups Haoma). Cela nous montre que les anciens guerriers « vêtus de peaux » utilisaient la drogue sacrée Haoma (anamita muscaria) pour achever leur transformation en loup. Odin et ses deux loups Geri (avidité) et Freki (du corbeau) a également légué le sombre don de la fureur des loups aux troupes d’élite des guerriers d’Ulfedhnar dans les Pays du Nord.
La saga islandaise du XIIIème siècle, « d’Egill » nous parle d’Ulf Bjalfason qui raconte que « Chaque jour lorsque le soir arrive, il peut devenir malade au point que plus personne ne peut lui parler et qu’il est obligé de s’aliter sans tarder. On disait qu’il changeait d’apparence et les gens l’appelaient Kveld Ulf (Loup du Soir) ». La vision eschatologique norroise est dominée par l’effrayant loup Fenris, qui libérera le Ragnarok, le « crépuscule des puissances divines » qui annonce la destruction cyclique de l’univers. Les norrois disent que la constellation des Grandes Mâchoires du Loup semble menacer l'ordre souverain de l'Étoile polaire, Tyr, l'Axe Cosmique.
Des peintures sur des tombes étrusques montrent Hadès le seigneur du monde du dessous, portant une tête et la peau d’un loup ainsi qu’un couvre chef ce qui sous-entend un lien entre l’animal et la mort. Autrefois, partout dans les pays du Nord un hors la loi, un assassin ou un profanateur étaient appelés « Vargr », ou loup. Ils étaient bannis de la tribu ou de la communauté et devaient vivre dans les terres sauvages, et n’importe qui pouvait les tuer sans craindre de représailles car ils étaient déjà symboliquement « morts ».
De même des groupes de guerriers chamaniques s’identifiaient ecstatiquement à un loup au moment de leur mort symbolique initiatique. Avec les Armées Furieuses des Morts ils vivaient et agissaient en dehors de l'ordre normal des choses, ce qui se caractérisait par des transformations lycantropiques et une fureur magique sinistre. Odin, le « Dieu des Pendus » (Hangatyr) est le maître des gibets – que l’on appelle l’Arbre du pendu (Varagtreo) chez les Anglo-saxons. Ces mystères du chamanisme lié au loup sont parfois préservés en tant que tradition héréditaire au sein de certaines familles.
L’écrivain du Moyen-Age Giraldus Cambrensis raconte que des membres de certains clans gaéliques autour d’Ossory en Ireland ont le pouvoir de se changer en loup pendant une période de sept années. Shakespeare en parle lorsqu’il dit : « … C’est comme les hurlements à la lune des loups irlandais, que vous aimez tant ». Les tribus Scythes Neuroises qui vivaient près de la Mer Noire subissaient la même transformation et chacun se transformait en loup quelques jours dans l’année. Dans toute l’Allemagne les Douze Nuits de Yule étaient le moment où les loups devenaient particulièrement féroces, les fantômes, les sorcières et la Chasse Sauvage étaient autour des villages et les rares élus devenaient loups-garous et erraient dans l'obscurité.
En Lituanie et en Prusse il était interdit de prononcer le mot « loup » à Yule.
Pline l’Ancien raconte une intéressante histoire de chamanisme lycanthropique en Arcadie : L’initié était désigné par divination et se rendait à un marais sacré où il accrochait ses vêtements à la branche d’un chêne. Il quittait ainsi symboliquement sa forme humaine et son identité. L’initié nageait ensuite dans les eaux d’un lac et traversait les eaux frontières entre les mondes. De l’autre côté il se transformait en loup et courait avec les troupes de l’Autre Monde pendant neuf ans avant de retrouver son corps humain. Ce culte du loup-garou existe dans toute l’Europe depuis les temps les plus éloignés. Il est lié aux totems chamaniques claniques et aux sociétés guerrières initiatiques qui invoquent les pouvoirs du loup dans leurs rites mystérieux et leurs pratiques magiques.
Après le début de l’ère chrétienne ces fraternités lupines se sont disloquées et les secrets de leur magie lycantropique ne furent préservés que par des personnes isolées et quelques groupes occultes tout au long du Moyen-Age. Dans le culte sorcier médiéval, les chamans loups-garous et certains sorciers ont continué la pratique des mystères lupins. On en retrouve le souvenir dans les rituels populaires du solstice d’été de la Fraternité de Loup Vert à Jumieges en Normandie et dans le folklore allemand lié au loup de seigle (Roggenwulf).
Les techniques magiques de sorcellerie lupine et lycanthropique semblent avoir évolué vers la « mort » symbolique de l’initié, la communion mystique avec le Maître des Forêts et avec la Déesse de la Mort. L’initié se déshabille et en passant de l'Autre côté des eaux il reçoit rituellement une peau de loup ou une ceinture traditionnelle en peau de loup à sept boucles. Les chants rythmés combinés avec les effets d'un baume de graisse de loup et de certaines herbes font frémir le loup-initié. Tout cela constitue une discipline magique archaïque qui tend à induire pour l’initié un état modifié de conscience.
Dans la « transe lupine » le champ d'énergie de mutation serait libéré et le Hamr, l’enveloppe de l’âme ou sa « peau » serait projetée sous la forme d’un loup qui servirait de véhicule pour la conscience du chaman. Cette expérience implique une communion ancestrale avec « l’âme animale » au niveau du subconscient ancestral. On dit qu’Odin était le maître de l’art de ces changements et les adeptes confirmés possédant un grand pouvoir personnel peuvent effectivement affecter la perception consciente d’un témoin qui percevra ce changement de forme. De même les voyants et ceux qui ont des pouvoirs psychiques pourraient discerner les formes animales sous lesquelles se cachent des sorcières pour se déplacer.
Au moyen-age ces pratiques étaient condamnées par l’Eglise et la lycanthropie des sorcières-loups-garous était punie de façon très cruelle lors des attaques chrétiennes contre la foi païenne populaire. Trois loups-sorciers furent pendus à Poligny en 1521, et l’on dit qu’à Bordeaux le loup-garou Jean Grenier adorait le Seigneur de la Forêt. Au XVème siècle des sorcières du Valais ont avoué avoir pris l’apparence de loups et avoir attaqué du bétail. Le culte du loup-garou semble avoir existé dans les régions Balto-Slaves sous l’autorité de « l’ainé-champion » Volkh le Sorcier qui possédait la sagesse occulte et les pouvoirs lycanthropiques.
Lors d’un procès en sorcellerie en Livonie en 1692 un vieil homme a avoué être un loup-garou. A l’occasion de Yule et de la nuit du Solstice d’Eté il cheminait sous terre en compagnie d’autres loups-garous armés de fouets de fer et dans le Monde de Sous Terre ils se sont battus contre les forces malveillantes du chaos et des êtres malfaisants qui avaient des manches à balai accrochés à la queue de leurs chevaux. Ils se battaient pour avoir de bonnes moissons. En Livonie les membres du culte du loup-garou se rassemblaient dans les forêts à la pleine lune, leurs rites étaient conduits par un prêtre appelé Meza Tevs ou « Le Père de la Forêt ».
Olaus Magnus décrit comment les loups-garous attaquaient les hommes et les stocks de vivres dans toute la Prusse, la Lituanie et la Livonie durant les Douze Nuits de Yule. Au cours du XVIIème siècle les paysans lituaniens se rassemblaient à cette période pour sacrifier une chèvre et l’offrir aux esprits-loups. Cette pratique rappelle le sacrifice d’une chèvre lors des lupercalia de la Rome antique, les Fêtes de Pan en tant que divinité lupine. Un vieux proverbe polonais dit qu’une personne agitée « court en cercle comme quelqu’un qui porte une peau de loup à Noël ». Il s’agit d’une allusion aux danses extatiques ou aux drames que l’on jouait. Les Taltos, les sorcières-chamans Magyar de Hongrie sont réputés être les enfants d’un loup et d’une femme prise au dépourvu dans les forêts sauvages. A Guernesey le Mont Varouf est hanté par le Varou un loup-garou assoiffé de sang qui vit dans les îles anglo-normandes.
Les liens entre la lycanthropie et la sorcellerie remontent loin dans la conscience magique indo-européenne, mais d’autres cultures présentent des parallèles significatifs. Les Indiens Navajo ont un seul nom pour désigner la sorcière et le loup. Le Vaudou haïtien préserve une connaissance des loups-garous quelque peu influencée par la tradition bretonne. Des groupes de sorciers malveillants appartenant au culte Zobop errent la nuit à la recherche de sang à boire. Dans la tradition vaudou, les voyants appellent la queue des comètes « des nids de loups-garous » car, de nuit, elles signalent les traces lumineuses des loups-garous à travers le ciel, ce qui rappelle les anciennes constellations norroises des Grandes et Petites Mâchoires de Loup.
 

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