Les romans de Dion
Fortune montrent donc ses propres vues sur la magie, qui est une synthèse de
celles de la Golden Dawn, de Thelema, de la Théosophie et des psychanalystes
jungiens et freudiens, ainsi que de sa philosophie personnelle qui est basée en
partie sur la sagesse qu’elle a channelisée. Mais sa propre vision n’est jamais
complètement celle des influences qu’elle revendiquait. Par exemple, bien
qu’elle reconnaisse une dette vis-à-vis de Crowley en tant que disciple, elle
rejette délibérément la tonalité amorale de ses écrits, préférant adopter une
forme de christianisme qui accepte Jésus en tant que source du courant
révolutionnaire moderne et qu’elle adapte à ses propres vues sur le mysticisme
et la réincarnation.
Certains thèmes spécifiques qui sont purement du « Dion Fortune » apparaissent
dans tous ses travaux :
Féminisme. Dion a fait partie des premières à croire au féminisme, non
seulement dans le sens de l’égalité féminine, mais aussi dans l’idée de femmes
travaillant ensemble pour faire avancer leurs propres intérêts. Cependant, à la
différence d’un certain nombre d’auteurs féministes modernes, le Féminisme de
Fortune est incontestablement un mouvement spirituel : là où un féministe
moderne verrait des femmes travailler ensemble en une sororité, Fortune voit
cela comme la réalisation de l’unité au niveau mystique. C’est comme si l’idée
collective de la « Femme » était un archétype – « la Déesse » - de sorte que le
culte de la Déesse et le féminisme sont en effet une seule et même chose.
D’ailleurs, Fortune prolonge sa théorie du Féminisme Spirituel en révisant
l’histoire de la Tradition à Mystère Occidentale, en arguant du fait que le but
du Grand Oeuvre est l’équilibre « des énergies masculines et féminines ». Cette
idée, dont le parallèle le plus proche est la notion Taoïste d’équilibre du Ying
et du Yang, semble être une innovation de Dion Fortune. L’idée n’est pas
présente à la Golden Dawn, par exemple, qui, même si elle reconnaît l’égalité
des hommes et des femmes, décrit la quête spirituelle comme étant asexuée. Dion
Fortune, elle, voit cette polarité masculine et féminine comme le concept
central.
Sexualité.
Pour Dion Fortune la sexualité saine est l’héritage de l’humanité. Ici nous
voyons apparaître l’influence de Freud. Il apparaît que Fortune, une ancienne
psychanalyste, acceptait la notion de Freud selon laquelle la sexualité est à la
base du bien-être psychologique, mais plus encore, elle affirme qu’elle est
aussi la base du bien-être Spirituel. Ainsi, tout au long de ses romans, des
hommes et des femmes émotionnellement frustrés, avec diverses problèmes
névrotiques et qui manquent du charisme dont dérive le sex-appeal - parviennent
tous à une thérapie psychologique et sexuelle quand ils apprennent à invoquer
correctement soit Pan soit la Déesse.
Pour Dion Fortune la sexualité est un acte d’équilibrage précis, dans lequel
elle essaye de convoquer l’érotisme sans jamais devenir en quoi que ce soit
lascive. Ainsi, bien qu’il y ait manifestement des actes sexuels dans ses
histoires, ils ne se produisent que rarement dans le récit et un voile de
discrétion est placé sur ceux qui s’y adonnent. Pourtant il n’y a aucun doute,
Fortune croit fermement que l’état naturel de homme et de la femme est
d’apprécier complètement et sainement, une activité sexuelle émotionnellement
satisfaisante libérée de toutes retenues et répressions.
Un Manifeste
Magique. Il y a un grand nombre de détails sur la magie pratique, qui, pris
avec la Kabbale Mystique, peuvent être considérés comme une tentative de son
auteur de nous enseigner, nous ses lecteurs, comment nous pourrions pratiquer
l’occulte sans devoir nécessairement rejoindre une loge ou un ordre magique. Par
exemple :
- Le Dieu à Pieds de Bouc, La Prêtresse des Mers et Magie
Lunaire contiennent tous des chants pour invoquer soit Pan soit la Déesse.
Il se trouve que des groupes Wiccan ont emprunté ces chants dans ces buts.
- Dans tous ses romans, il y a une grande discussion sur l’utilisation
appropriée de la Magie Sexuelle. Evidemment, la majeure partie est ce qu’un
tantriste appellerait « de voie de la main droite », c'est-à-dire qu’ils
n'impliquent pas des rapports effectifs (en tout cas pas physiques). Mais il y a
de nombreux détails quant à la façon dont un mari et son épouse peuvent
incorporer cette Magie, avec l’idée qu’elle accroît et enrichit leur vie
sexuelle habituelle.
- Le Dieu à Pieds de Bouc contient des références spécifiques à des
livres dont il est possible d’adopter des techniques de magie pratique.
- Plus encore, il y a de nombreuses références aux techniques magiques de base.
Par exemple dans Magie Lunaire, Dion mentionne l’utilisation du Rituel de
Bannissement Majeur du Pentagramme pour l'exorcisme ; elle parle de la Kabbale
et de l'utilisation ésotérique des couleurs, elle se réfère brièvement à la
méthode de Projection Astrale du « Corps de Lumière ». (On nous dit aussi à cet
égard, dans Les Secrets du Docteur Taverner et L’Amant Diabolique
de conserver un thermos de café prêt pendant la projection astrale, car on
constate une perte de la chaleur lorsqu’on réintègre son corps).
- Dans ses romans, Dion parle de ses théories sur la Réincarnation, la nature
des corps subtils et de divers autres points de la philosophie ésotérique.
Argent.
L’auteur de science fiction William Gibson a par le passé précisé qu’avant lui,
dans la science-fiction, on ne trouvait jamais un héros qui était « du mauvais
côté ». Il aurait pu également formuler la même remarque pour les romans
occultes de Dion Fortune. Dans tous ses romans, les personnages centraux sont
tous riches et ont habituellement des revenus personnels. Les protagonistes qui
n’ont pas d’argent en reçoivent de riches bienfaiteurs. Un personnage principal
qui doit s’adonner à quelque chose d’aussi servile que travailler pour vivre
possède presque invariablement sa propre entreprise.
Clairement, Dion Fortune, qui était issue de la classe moyenne elle-même a vécu
la plus grande partie de sa vie grâce à un héritage. Elle croyait que pour
suivre la voie occulte, on devait avoir une bonne situation matérielle et
pouvoir se dispenser de travailler ou au moins avoir, sans problème, du temps
libre. Sa vision de la richesse est semblable à celle Charles Dickens : les
héros des deux auteurs, une fois qu’ils goûtent à la richesse, ne retournent
jamais plus à la pauvreté.
Fortune, sans scrupule, s’autorise à se servir de sa propre expérience pour
illustrer ses vues sur l’Occulte - et cette expérience est très différentes de
ce qu’ont vécu d’autres occultistes, à l’époque et aujourd'hui. Par exemple,
MacGregor Mathers a vécu juste au-dessus du seuil de pauvreté pendant toute sa
vie. Crowley a beaucoup parlé de sa pauvreté, disant que son humiliation causée
par un trésorier corrompu de l’O.T.O. était en réalité un signe de son sacrifice
à Babalon.
Occulte Secret /
Visibilité. En conclusion : alors que les membres des fraternités occultes
mystérieuses existent dans les romans de Dion Fortune, nous voyons que la
plupart des histoires parlent de grands travaux magiques pratiqués par des gens
ordinaires et non initiés avec peu ou pas de formation magique.
Evidemment, il s’agit là tout d’abord d’un procédé littéraire : Fortune nous les
rend sympathiques. Si nous les voyons comme des gens que nous pourrions
rencontrer dans la vraie vie, si nous pouvons nous identifier à eux et nous
soucier de ce qui leur arrive. D’ailleurs, nous pouvons être tentés de penser,
« s’il ou elle peut le faire, je le peux aussi… »
Mais à part éveiller notre curiosité pour l’Occulte, nous devrions nous rappeler
d’une chose au sujet de l’histoire de Dion Fortune. Elle a été renvoyée
publiquement de l’Ordre de l’Alpha et Omega et elle a dû développer sa
principale pratique occulte loin de l’Ordre qui l’avait initiée. Dans La
Kabbale Mystique, elle critique à diverses reprises d’autres occultistes
pour leur tendance excessive au secret, y compris la pratique de la Golden Dawn
de faire jurer le silence à ses initiés sur des choses pourtant déjà ouvertement
publiées.
En conséquence, nous pouvons dire que dans ses romans, le fait que des
non-initiés pratiquent la magie peut être vu comme une protestation contre ce
que lui ont fait les responsables d’Ordres Magiques qui ont utilisé leur
position pour exercer un pouvoir excessif, et une tentative pour qu’on accepte
la validité du travail d’esprits indépendants, qu’elle a elle-même recherché au
cours de sa vie.