La Chasse Sauvage
Pas très loin de chez moi passe une « Grimlingweg » c’est à dire un chemin emprunté par la Chasse Sauvage.
Cette chasse sauvage est connue dans tout l’occident, elle fait partie de la mémoire archaïque européenne. On se la représente sous la forme d’une armée de morts, ou un cortège de revenants, à la tête de laquelle se trouvent différents personnages mythiques comme Hellequin, Odin, Charlemagne ou Arthur.
Cette troupe de guerriers célestes et nocturnes fait partie de la plus vieille mythologie européenne. On a fait de ces chasseurs imaginaires des revenants qui traversent le ciel certaines nuits en hurlant au son d’étranges musiques, et malheur à celui qui les croise.
Tout au long du moyen-âge on raconte qu’un tel a disparu parce qu’il a croisé de nuit la Mesnie Hennequin et qu’il a été entraîné soit par la violence, soit par la fascination. Parfois on ne revoyait plus jamais l’imprudent et parfois on le retrouvait pendu (on se souvient qu’Odin s’est pendu à l’arbre du Monde) à proximité de l’endroit où il a rencontré la Mesnie.
Dans un manuscrit du XIIème siècle on décrit ainsi cette Mesnie : « Un grand nombre de personnes ont vu et entendu les chasseurs. Les chasseurs étaient noirs, grands et répugnants et leurs chiens étaient sales et tous noirs avec de grands yeux. Ils chevauchaient des chevaux noirs…La nuit, les moines les ont entendus souffler dans leurs cornes. Des hommes dignes de confiance les ont vus la nuit et ont affirmé qu’il y avait bien vingt ou trente personnes qui soufflaient dans leur corne ».
Dans la culture française, c’est la Mesnie Hellequin. On en retrouve des descriptions et des gravures dans de nombreux ouvrages du XIIème siècle. Dans ces livres cette troupe de démons est conduite par Hellequin, le Grand Veneur (en forêt de Fontainebleau par exemple) ou l’Homme en Noir.
Si on cherche une étymologie à Hellequin on tombe sur deux pistes. Certains voudraient faire provenir Hellequin de Elfenfrind (ami des elfes) alors que d’autres y voient une déformation de Charles Quint.
Par chez moi, c’est plutôt la fureur sacrée de l’armée d’Odin accompagnée d’une meute de chiens hurlants et à la langue de feu que l’on croise certaines nuits de pleine lune à la lisière de certaines forêts et dont le cri de guerre et « Wot Wot Wot ». Cette sarabande démoniaque est à la chasse aux âmes pour renforcer encore cette armée de seigneurs damnés qui errent pour l’éternité dans les forêts. On raconte que dans cette troupe on retrouvait deux groupes bien distincts, les « Berserkr » (guerriers furieux) et le « Ulfhednar » (guerriers-loups). On dit que les Ulfhednar sont des loups-garous et sont invulnérables.
Lorsque plus haut je disais pas loin de chez moi, je pensais à la voie qui relie Hausbergen à Mundolsheim, deux villages qui doivent (selon certains) leur nom aux deux corbeaux d’Odin Hugin (d’où Hugisperga qui a donné Hausbergen) et Munin (d’où Munoltsheim qui a donné Mundolsheim).
Par-là bas il y avait un Grimlingsbrunnen (un puits de Grimling, c’est à dire de Wotan / Odin) et il y a toujours une rue Grimling.
L’Alsacien Jean Geiler de Kaysersberg a écrit en 1516 au sujet de la Chasse Sauvage : « Celui qui meurt avant le terme que Dieu a décidé devient l’un d’entre eux. C’est le cas de ceux qui s’engagent dans l'armée et sont poignardés, pendus ou noyés, ils devront rester sur cette terre longtemps après leur mort, jusqu’à ce que Dieu décide que le moment est venu ».
En Alsace, ce n’est pas toujours Odin / Wotan qui dirige cette troupe maudite, parfois c’est une femme qui guide les âmes. Dans ce cas on a affaire à Frau Perchte ou Frau Holle. Souvent l’armée est alors composée d’enfants qui eux aussi sont morts avant que leur heure ne soit venue. Cette armée là, seuls les enfants peuvent la voir, mais ils ne risquent rien, elle ne leur fera pas de mal et ils ne sont pas enrôlés de force, au contraire Frau Holle est plutôt gentille avec eux puisqu’elle leur offre des présents (souvent un peu de nourriture) et certains ont fait de cette pratique l’origine de la Christkindel, cette dame tout de blanc vêtu qui amène des présents aux enfants sages en Alsace le soir de Noël (on n’a pas de père Noël nous).
Dans la mythologie saxonne, Odin/Wotan rassemble tous les guerriers morts dans le Walhalla pour former son armée Einherjar. Tous les jours, ces guerriers s’entraînent au combat et le soir l’armée revient pour soigner ses plaies et pour profiter du banquet qui les attend.
Au début du siècle dernier en Alsace, il y avait encore à proximité du solstice d’hiver, une sorte de défilé carnavalesque où les participants masqués (« Grimnir » signifie « le masqué » et peut rappeler les « guizers » anglais qui eux aussi vont masqués en processions) et déguisés en personnages fantomatiques ou en animaux, faisaient le plus de bruit possible. Ils faisaient le tour du village et s’attardaient plus spécialement à proximité des maisons qui ont connu un décès dans l’année. Le soir, les danseurs de Grimling se retrouvaient dans une Grimlismatt (pré de Wotan / Odin) pour festoyer et nommer un roi de la fête.
Les frères Grimm parlent eux de Wutendes Heer (l’Armée Furieuse) qu’ils font dériver de Wotan’s Heer (l’Armée d’Odin). Ailleurs on retrouve cette Mesnie sous les noms de Mesnie Furieuse, Hoste d’Hellequin, Menée Hennequin, Chasse Infernale, Chasse Furieuse, Chasse Arthur, Chasse Maligne, Chasse Maudite, Chasse d’Holopherne, Chasse Macchabée ou Familia Herlequini…