Lettre à ma Fille

Je vais mourir demain. Je le sais et cela me rend si malheureuse. J’aurais voulu vivre encore un peu, aimer, rire, avoir froid l’hiver et chaud l’été, voir le soleil se lever sur la forêt. J’espérais avoir encore de belles années devant moi. Je n’ai que 25 ans. 25 ans…..
Ils m’ont fait tant souffrir ces derniers temps. Combien de temps ? Je ne sais plus. Ils m’ont fait subir des choses horribles pour m’en faire avouer d’autres plus horribles encore. Il arrive un moment où on veut bien avouer n’importe quoi pourvu que cela cesse, mais cela ne cesse jamais. Si ! demain cela cessera, définitivement….
Je ne veux plus y penser. Mes dernières forces doivent servir à écrire cette lettre. L’obtention du papier et du crayon m’a coûté une ultime humiliation. Mais, qu’aurait on pu me prendre que je n’aie pas déjà dû donner ? Pauvre petit homme qui croyait m’avilir ! J’entendais de très loin ta jouissance bestiale. Moi j’étais si loin de toi ! j’étais dehors, avec ma fille.
Ma pauvre fille…. Que deviendras-tu ? Tu as 10 ans et je ne serais plus là pour toi. Pourquoi nous a-t-on arrachées l’une à l’autre ? Je me le suis demandé chaque jour dans mon cachot. Pourquoi moi ? Parce que je suis rousse ? Parce que je suis jeune ? Parce que je vis dans notre chaumière à l’écart du village ? Ils m’ont condamnée comme sorcière, quelle aberration ! je suis juste une femme !
Je me suis aussi demandé qui m’a dénoncée. Est-ce une pauvre victime sous la torture ? Ou bien une personne méchante qui l’aurait fait juste pour me nuire ? Est-ce la Germaine ? Elle m’en a tant voulu quand je l’ai aidée à mettre son Thibaut au monde. Elle m’avait rendue responsable de la tache de vin qui lui mange le visage. Pauvre enfant !
Est-ce la Margot ? Elle a toujours cru que c’était son mari qui m’avait engrossée. Pauvre femme, si elle savait ! Si elle savait combien je l’ai aimé, ce garçon que j’ai trouvé, la jambe brisée dans le ravin. Je l’ai soigné en secret tout l’hiver. Il ne parlait pas notre langue, ses cheveux et ses yeux étaient si noirs…. Quand il est parti, guéri, au printemps, je savais que j’étais grosse, et j’en étais bien heureuse. Il me resterait quelque chose de lui. Chaque jour que Dieu fait je le retrouve dans les yeux si noirs de ma fille.
Cela pourrait même être le Michel. Infâme pourceau qui me poursuit de ses assiduités sans succès depuis des mois.
Cela pourrait être n’importe lequel des villageois en fait. Ils m’ont toujours regardée d’un mauvais œil. Quand, à la mort de ma mère, ma vieille tante, la femme du charbonnier, m’a prise avec elle dans leur baraque…. Dès le premier jour ils m’ont prise en grippe. Sans doute une vieille rancœur contre ma famille ou mon village, une de ces histoires vieilles de 50 ans, à moitié oubliées. On oublie le « pourquoi » mais on n’oublie pas de se souvenir qu’il faut mettre untel au ban de la société !
Ils étaient pourtant bien heureux, tous autant qu’ils étaient, quand je lavais leur linge au lavoir, quand je soulageais leurs maux avec mes plantes, quand je restais près des mourants dans leurs derniers instants, quand j’aidais à mettre leurs enfants au monde !
Et moi, j’ai si mal et si peur, et personne pour me soulager ou simplement me prendre la main.
J’en suis même venue à penser que peut être ma propre fille m’avait perdue ! Parfois je lui disais « prends garde, je vois tout, j’ai des yeux derrière la tête » ou « si un monstre se cache sous ton lit, je le ferai disparaître comme par magie, d’un claquement de doigts ». Des paroles innocentes en vérité, mais, si elle les a répétées à une méchante personne, cela a fort bien pu être utilisé contre moi et précipiter ma perte.
Mais tout cela n’a plus d’importance ! Je n’ai plus d’avenir, alors qu’importe le passé ! Je n’ai plus que quelques heures devant moi et de toute façon je n’aurai pas de réponse.
Demain dans la foule qui se pressera devant le bûcher il y aura ceux qui seront heureux d’être débarassés de « la rousse de la cabane », la « sorcière du fond des bois » ; il y aura ceux qui seront heureux de ne pas être à ma place, et aussi ceux qui sont toujours heureux du malheur des autres…. Il y aura peut être aussi une ou deux personnes qui prieront pour le salut de mon âme prétendument damnée.
Peut être seras-tu là, toi, ma douce petite Amélie, ma fille aux yeux noirs. Je t’aime et je te jure que je suis innocente de tout ce dont on m’accuse. Mon corps est brisé mais mon cœur est entier et plein d’amour pour toi. Cette lettre est pour toi…. Si toutefois tu la reçois. J’ai payé ce service en même temps que le papier et le crayon, mais je ne peux pas être sûre que cette promesse sera honorée.
Grandis, en sagesse et en beauté, vis la vie que je n’aurai jamais. Jouis de chaque instant, car, vois tu, tout peut s’arrêter trop brusquement. Et surtout, ne m’oublie pas, s’il te plait.
 

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