La Cabane sur la Montagne
VENDREDI, 12h50, cantine du Lycée Jean Jaurès
« Tous aux abris, v’là les sœurs Halliwell !
- oh purée ! elles arrivent droit sur nous
-désolée Mel, on va t’abandonner ….
-sympa les filles ! ça m’apprendra à manger lentement. Bon, ben…. A plus »
« Salut Mel, on peut s’asseoir ?
- en temps normal j’aurais tendance à dire que non. Mais, considérant que la
cantine c’est pas chez moi, ok, installez vous. J’ai presque fini de toute
façon.
- tu sais Mel, en fait on te trouve hy-per sympa. Et au moins t’es sincère.
-ouais, c’est tout le drame de mon existence ! Les gens me trouvent sympa alors
que je ne fais strictement rien pour ça….
- c’est ton aura qui est hy-per positive et rayonnante
- oh pitié !
- non mais je te jure ! je sens en toi une grande puissance. C’est hy-per
puissant.
- moi je sens hy-per puissamment que tu commences à sérieusement me courir
- ne le prends pas mal, MEl… oh trop fort ! presque un jeu de mots…. On en a
parlé avec les filles…
-les deux muettes que t’as amenées avec toi ? cool !
- bref, ça te dirait de te joindre à nous ce week end ? on va faire un rituel
sorcier et à quatre, avec toi, ça serait hy-per mieux
- ce week end ? ben non ! E fait je pars en rando : 40 km par jour, 1500 mètres
de dénivelé positif, nuit à la fraîche. Mais au fait… si ça vous tente vous
pouvez venir. Non ? Dommage ! Sur ce, ciao les witches. Je suis sûre que vous
allez trouver une quatrième névrosée pour votre fiesta. »
Ca c’est le grand classique ! J’ai l’impression que ça n’arrive qu’à moi,
j’attire les dingos ! Même pas moyen de prendre un repas tranquille.
Heureusement qu’elles sont en BEP esthétique et pas en terminale S, je suis sûre
qu’elles me colleraient du matin au soir. Elles n’ont donc pas compris qu’on
n’est pas faites pareil ? (hy-per pas pareilles) Moi c’est treillis, rangers et
tattoo, 15 heures de sport par semaine, concerts metal chaque fois que je peux,
et elles c’est dentelle et satin noirs, pauvre piercing dans le nez et
Evanescence. Y’a pas moyen de confondre ? ou y’a un truc qui m’échappe ?
Allez MEl, concentration ! encore deux heures de maths, deux de philo et c’est
le week end. Tu pourras te défouler et te vider la tête sur les versants suisses
!
SAMEDI, 12h, en altitude
Ca va faire 5 heures qu’on marche. C’est magnifique. Le froid est vif, mais le
ciel est dégagé. Je vois la Jungfrau au loin. C’est sublime. Faudra un jour
qu’on aille là bas, sur le glacier. En train à crémaillère. Le plus haut glacier
d’Europe… ça me laisse rêveuse. Je trouve fascinants les craquements que font
les glaciers. Et cette couleur bleue assez surnaturelle. Quand on pense à la
puissance de la nature, c’est énorme ! Tout à l’heure on fera la pause casse
croûte, puis encore environ 3 heures de marche et on cherchera un endroit pour y
passer la nuit. Demain réveil avec le soleil pour profiter du spectacle. Rien
que pour ça ça vaut la peine de s’épuiser dans les montées. Là haut nous nous
sentons un peu les maîtres du monde.
SAMEDI, 18H
La chance est avec nous, on est redescendus un peu et sur l’alpage (enfin je
crois, en tout cas sur l’herbe) on a trouvé une maison en pierres sèches. Un peu
en ruine, sans doute plus utilisée depuis des lustres. En même temps c’est pas
surprenant, elle est vraiment loin de tout, et faut vraiment être motivé pour se
traîner jusque là. C’est aussi un des côtés plaisants de ces marches : trouver
des endroits loin de la civilisation. Nous partons toujours à 8 : Sonia et moi,
les filles, et Paul, Marc, Pierre, Philippe, et les deux Michel. Au début on
faisait nos 10 km par jour et puis petit à petit on a augmenté les doses. C’est
comme une drogue, plus t’en fais, plus t’en vois, plus t’en veux !
Bref la baraque est là qui nous tend les bras. On commence par se poser un peu
dans l’herbe, histoire de reprendre notre souffle, faire quelques étirements, se
reposer. Puis on entre, il ne fait pas trop sombre, il y a deux (ex) fenêtres,
et des trous dans le toit, la pièce principale (et seule pièce d’ailleurs)
mesure environ 3 mètres sur 4, il y a une cheminée. Ca devait être bien
sympathique du temps de sa splendeur. On se demande juste qui venait là ?
Paul m’apostrophe :
« c’est quoi ce machin gravé sur le manteau de la cheminée, une idée Mel ?
- je sais pas. Un rond, avec deux demi cercles de chaque côté. Un bonhomme avec
de grandes oreilles mais sans visage ? Un œil de bœuf volets ouverts ? Trois
cercles pas finis ? J’en sais rien. Tant que c’est pas un pentacle inversé ou
une croix gammée ça me va. Cette cabane ne pouvait mieux tomber en tout cas.
- ok. Tout le monde se pose. Corvée de bois, des volontaires ? »
On a distribué les rôles, dégagé un peu le sol des vestiges de précédents
passages, installé les bougies, et deux heures plus tard c’est le moment que
nous attendons toujours avec impatience après 8 ou 9h de marche : le repas
autour du feu. Marc a apporté du tiramisu. Faut être barge pour porter ça toute
la sainte journée ! Mais il est comme ça Marc. Un jour il avait traîné une
terrine maison dans son récipient en terre cuite ! Paul, évidemment a apporté
ses fameuses truffes aux substances illicites ! moi j’ai pensé au vin rouge.
Trois bouteilles ! demain le sac sera moins lourd. Tant mieux.
Et que ça tourne. Oh la, oui ! ça tourne même vachement ! Vais pas tarder à me
coucher moi !
A huit dans douze mètres carrés on a juste la place pour étaler les duvets. Au
moins on n’aura pas froid…. La chaleur humaine ! Et un toit (bon, d’accord, un
reste de toit) au dessus de la tête. Que demander de plus ? On n’emmène jamais
de tentes comptant sur notre chance pour trouver ce genre d’endroit, ou une
grotte, un abri sous roche, n’importe. Ca marche presque toujours….
SAMEDI, 22h
« Tout le monde a fait pipi ? Vous avez vos doudous ? Alors extinction des feux.
Good night, et rendez vous au lever du soleil. A partir de 4 heures le premier
réveillé réveille les autres »
Et voilà, Sonia souffle la dernière bougie et bien vite le silence se fait. Je
m’endors rapidement. Entre la fatigue, le vin et les truffes…. L’odeur du feu de
bois à présent éteint … je me sens bien, comme dans un cercle protecteur. Un
bref instant mes pensées reviennent aux sœurs Halliwell et leur projet de rituel
sorcier à quatre ! je suis bien mieux ici, à huit. Ma sorcellerie à moi c’est la
montagne, les crampes dans les mollets, le souffle court, le ravissement visuel.
Allez Mel, dodo !
SAMEDI, plus tard
Hé, c’est qui eux ? qu’est ce qu’ils font là ? et les autres ? Paul, Marc, Sonia
? ils sont où ? oh oh ! j’ai peut être un peu forcé sur les truffes. En plus
j’ai l’impression qu’ils (les « autres ») ne me voient pas. Ils sont combien
d’abord ? Treize ? Heureusement avec moi ça fait 14 ! Non pas que je sois
superstitieuse, mais vaut mieux se méfier ! A ce propos : il me semblait bien
que quand je me suis endormie il y avait des murs et un toit ? ça fait beaucoup
de choses et de gens qui ont disparu. A priori j’aurais tendance à dire « pince
moi », mais j’hésite. La curiosité l’emporte.
Donc, je récapitule : 13 personnes, plus de cabane, plus de joyeux randonneurs.
Ok ! Ca m’a l’air bien rock n roll !
L’un des personnages, un homme, assez impressionnant je dois dire, non pas par
sa carrure, mais par un je ne sais quoi qui se dégage de lui, prend la parole.
Il tient un petit discours sur la maison qui « sera construite ici » (tiens
tiens ? je fais un voyage temporel ?) et qui leur servira de lieu de ralliement.
Il dit qu’il faut que tous se souviennent que leur rôle dans ce monde est
d’aider ceux qui en ont besoin, et de parler pour ceux qui n’ont pas de voix. Il
dit qu’avec l’aide de la Grande Déesse et du Dieu Cornu ils seront d’un grand
secours à quiconque nécessitera leur aide. Il dit des phrases comme « la magie
doit être gratuite » ou « ne pas divulguer le secret ». C’est les sœurs
Halliwell qui seraient étonnées ! Aucune des personnes présentes ne porte de
dentelle noire, ou de vernis à ongles noir, ou de rouge à lèvre noir ! Ils ont
tous l’air tellement « normal ».
Celui que je considère d’emblée comme le chef ou le maître (ça doit être comme
ça qu’on dit) prend une poignée de blé. Il la jette sur le sol et dit « que ce
blé, symbole de renaissance, marque l’est, où toute lumière prend vie »
Puis il fait un demi tour, et jette une poignée de sel que lui a tendue
respectueusement une des femmes présentes. « le sel, emblème d’hospitalité,
d’amitié et de fidélité, je le jette à l’ouest pour marquer le coucher du
soleil. Que par ce geste cette maison et ses occupants soient préservés d’une
corruption précoce »
Puis il se tourne vers le sud. Une autre femme lui tend un calice empli de vin.
J’en sens l’odeur à travers les brumes du sommeil. Elle est capiteuse, ils y ont
mis des épices, je n’arrive pas à reconnaître lesquelles. L’homme asperge un peu
de ce vin vers le sud.
« Puissent les herbes sauvages pousser pour nourrir les troupeaux, et les
plantes magiques pour le service des hommes, que la Terre nous offre la
nourriture et le vin afin de pourvoir à notre bien être jusque dans notre cœur »
Finalement il se tourne vers le nord. Une fois encore une officiante lui tend un
calice. Ce n’est plus du vin. J’interroge mes sens. C’est de l’huile. J’en ai
comme le goût en bouche. L’homme dit « … et de l’huile pour faire luire son
visage, le symbole de la mortalité »
Enfin il semble s’adresser non plus aux Dieux mais à l’assemblée : « Paix et
vérité pour les hommes de bien »
J’aperçois alors seulement un trou creusé au milieu de ce petit cercle, chacun à
son tour y dépose un objet, feuille de papier, pierre, coquillage, poupée de
tissu, ou de cire, photo. Puis le Maître inscrit à la craie des signes que je ne
peux voir sur une pierre (la « première pierre ») et la place dans la cavité.
Tous se recueillent un court instant puis s’en vont.
Ils font bien plus que s’en aller, ils disparaissent comme la fumée dans le
vent. Il me reste juste l’odeur du vin et le goût de l’huile. J’ai beau chercher
autour de moi, ils ne sont plus là.
DIMANCHE, 4h30
« Mel, on se réveille ! si tu veux voir le soleil se lever, c’est maintenant. »
J’ouvre péniblement les yeux. Mes amis sont là, les murs et le toit sont là.
Tout est redevenu comme avant.
Mon rêve, puisque ce devait en être un, me semble pourtant très réel. Je n’en
parle pas. Je prétends avoir dormi comme un loir. Je rejoins les autres dehors
et regarde le soleil se lever, à l’est, là où l’homme a répandu le blé. Je me
demande si, dans l’hypothèse où je chercherais, je serais susceptible de trouver
la cache sous la première pierre. Mais je sais que je ne le ferai pas. Les
objets déposés là l’ont été pour l’éternité, protégés d’une « corruption précoce
» et avec eux furent déposés un peu de chaque personne présente dans ce cercle.
Dans les temps qui viennent je repenserai forcément souvent à eux, comme à des
êtres de chair et de sang. Je me demanderai qui ils étaient, ce qu’ils firent,
et comment ils finirent. Et je sais d’ores et déjà que je n’aurai pas de
réponse. Je sais aussi que je dois me sentir honorée d’avoir eu ce rêve, et en
secret je remercie l’endroit de m’avoir fait partager son secret. Je ramasse un
éclat de pierre sur le sol. Je le garderai avec moi. Je suis convaincue qu’il me
protégera dans ma vie à venir.
Le Cercle de la Pierre Sorcière Wica, Wicca et Sorcellerie