Se Perdre dans l’Oubli
la Survie des Sots
Par Robert John Stewart
Au milieu des années 1990 (vous rappelez-vous de ces années brumeuses, quand les Etats-Unis avaient encore un président ?) j’ai passé une soirée avec Grand-mère Kitty, une aînée Lakota, qui avait la réputation d'être stricte et violente. Nous avons fait ce que tous les gens bienveillants qui s’intéressent activement à la magie et aux esprits font quand ils se rencontrent, c’est à dire que nous avons bu de la bière et raconté des blagues. Mais des choses sérieuses étaient cachées sous nos rires et nous avons partagé bien des histoires. Parmi les nombreuses choses dont nous avons parlées, il y avait l'obsession actuelle que connaissent l’Amérique et l’Europe, pour les Animaux de Pouvoir, les Animaux Totem, ou, comme je préfère les appeler, les Créatures Spirituelles.
Aucun de nous deux nous ne pouvait comprendre pourquoi, à un moment où des espèces biologiques disparaissent toutes les heures sur une planète polluée, des milliers des personnes semblent désireuses d'ignorer totalement la crise, tout en continuant également à suivre des séminaires et des cours pour trouver « des animaux de pouvoir ». Dans les traditions Gaéliques et Lakotas ( vous comprenez bien qu’il n’y a plusieurs traditions Gaéliques et plusieurs traditions Lakotas et non une seule tradition qui les engloberait toutes) les animaux de pouvoir sont toujours associés à des organismes vivants et ne sont jamais symboliques.
Ainsi quand on a parlé de Bénir les Animaux, je me suis souvenu de ma conversation avec grand-mère Kitty… qui depuis est passée dans l’Autre Monde. Je sais que son esprit violent guidera ceux qui suivent ses pas. Nous avons partagé des pensées et des expériences, nous avons comparé nos traditions héréditaires et cela m'a aidé à clarifier ma compréhension de certaines voies vers le rachat des maux qui sont à la base même de cette culture ... dont notre comportement effroyable avec nos compagnons dans la Nature.
Les principales traditions magiques, dans le monde entier, ont toutes des méthodes pour travailler avec d'autres ordres de vie, avec des êtres spirituels et des Créatures Vivantes (c'est-à-dire les oiseaux, les animaux, les poissons, les insectes et tous les ordres de vie qui ont une forme de manifestation biologique). Dans ce contexte, la féerie et les traditions du Monde du Dessous européennes, méditerranéennes et Nord Africaines, ont beaucoup en commun avec celles des Indiens d'Amérique et des traditions chamaniques. Ces traditions, qu’elles soient chamaniques ou non, partagent toute cette vision : les gens ne peuvent pas survivre seuls et doivent coexister et coopérer avec les autres ordres de vie au lieu de les contraindre et de les exploiter.
Quand j'ai parlé avec Grand-mère Kitty, nous partagions certaines vérités fondamentales sur le travail avec des Créatures Spirituelles, elle l'Indienne et moi l'Européen, mais de nos jours cela semble bien différent si l’on se réfère aux idées populaires bien connues que l’on trouve dans de nombreux livres, cours et séminaires.
Voilà le plus important : vous ne les choisissez pas, ils vous choisissent. Comme l’a dit Kurt Vonnegut, c'est si important que vous devriez le noter sur une feuille, maintenant, et la coller sur votre écran, là où vous pourrez immédiatement l’oublier
« Tout le monde veut avoir le loup, l'ours, le cerf », a dit Grand-mère Kitty, « comme si c’était valorisant ».
J'ai répondu « Et si c’est le crapaud qui arrive ? » et elle m'a regardé longtemps et intensément.
« Pourquoi en serait-il ainsi ? » a-t-elle dit enfin, pour me mettre à l'épreuve.
« Mes enseignants m'ont dit que ce qui est petit est puissant et que ceux qui vous choisissent, même si vous ne les aimez pas, sont les plus puissants pour vous, peu importe ce que vous pensez vouloir ».
Elle a incliné la tête et nous avons bu notre bière et sommes resté assis en silence quelques temps, nous savions que nous étions d'accord. Elle a alors changé le sujet, ce qui arrive souvent après avoir parlé de quelque chose de puissant. Nous y sommes revenus plus tard, de temps en temps, c’est ce que l’on fait dans des cultures traditionnelles … Une conscience « de ce qui est approprié » que les Gaels et des Indiens d'Amérique partagent toujours, même si cela se perd vite.
Voici quelques conclusions que m’a appris l’expérience, conclusions dont la plupart ont été discutées avec d’autres sujets dont je ne peux faire état ici lors de cette longue soirée avec Grand-mère Kitty.
Il y a trois problèmes typiques dans ce retour d’intérêt pour les animaux de pouvoir, ou pour les Créatures Spirituelles.
La première difficulté est qu'ils sont souvent traités comme des biens. Combien de fois ai-je entendu quelqu'un dire « mes animaux de pouvoir sont … » puis suit toute une liste ? On ne possède pas de telles Créatures, et ce ne sont pas des signes de mérite. Ce sont des êtres vivants puissants et indépendants, qui s'associent avec nous parce qu’ils le décident et non parce qu’on le leur commande. Lorsque j'entends l’expression « animal helper » je brûle de colère et cela me fait mal.
Tout comme cet enthousiasme à parler des animaux de pouvoir en citant la liste de tous ceux qui leur appartiennent… En magie traditionnelle on n’en parle presque jamais. Pour certains travaux, il est même strictement interdit de les mentionner. Lors de cette soirée d’été, lorsque j'ai intuitivement mentionné le Crapaud à Grand-mère Kitty, j’ai soudainement réalisé que c'était une des créatures avec qui elle a travaillé. Mais je savais qu’il aurait été grossier de demander à ce qu’elle m’en dise plus.
Le second problème surgit lorsqu’on voit les Créatures Vivantes comme « des qualités » ou « des attributs » dont l'individu « a besoin », pour « se développer ». Ainsi quelqu'un qui veut la force choisit le boeuf, et celui qui veut la rapidité et la puissance choisit l'aigle. Cette attitude révèle quelque chose de choquant : la personne qui pense ainsi ne contacte pas des créatures spirituelles réelles, mais une idée égocentrique et fantaisiste d’enrichissement personnel. De telles fantaisies sont particulièrement répandues dans les écoles néo-chamanistes qui sont fortement influencées par la psychologie (psych-ologie : une science matérialiste de l’esprit de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle qui a presque disparu mais que vous pouvez encore rencontrer de temps à autre).