La Puissance de la Grande Déesse
CHAPITRE 2: La religion de la Déesse à travers le Monde
Le mythe de la création
« Avant le commencement, la Déesse dont on ne peut prononcer le nom, flottait
dans les profondeurs de la nuit, seule, en quête d’hommages et de respect. Et
quand elle plongeait son regard dans le miroir voûté de l’éther, elle
reconnaissait sa propre image lumineuse et en tomba amoureuse. Par la puissance
qui l’habitait, elle sortit cette image du miroir, s’unit à elle amoureusement
et lui donna le nom de « Miria, la merveilleuse ». Son extase s’exprima à
travers un chant sur tout ce qui est, qui fut et qui sera, et de ce chant naquit
le mouvement, puis les vagues, dont les mouvements lascifs devinrent les sphères
et les cercles de tous les mondes. La Déesse fut emplie d’amour, elle s’arrondit
et se réchauffa et donna naissance à une pluie d’esprits lumineux, qui se
répandirent sur les mondes et devinrent des créatures de chair et de sang. Mais
lors de ce grand mouvement Miria fut expulsée, et du fait de cette séparation
d’avec la Déesse, elle devint de plus en plus masculine.
Elle devint d’abord le Dieu bleu, le dieu doux et souriant de l’amour, puis le
Dieu vert, celui qui était vêtu de feuilles de vignes, celui qui prenait racine
dans la terre, l’esprit de tout ce qui pousse. Finalement elle devint le Dieu
Cornu, le chasseur, celui qui est aussi brûlant que le soleil et aussi sombre
que la mort. Mais toujours le désir le ramenait à la Déesse, il tournait autour
d’elle, espérant, toujours, retrouver son amour. Toute chose trouve son origine
dans l’amour, tout cherche à retourner à cet amour. L’amour est loi, l’amour est
mère de la sagesse, la grande manifestation des mystères. »
(transmission orale issue de la tradition féri de la croyance sorcière)
Ce mythe montre clairement l’étonnement vis à vis du monde qui est divin et du
divin qui est le monde. Au début la Déesse est le tout, la vierge, autrement
dit, se suffisant à elle-même. Elle est nommée « déesse », mais elle pourrait
aussi bien être « dieu » car son existence n’est pas sexuée. Il n’y a ni
séparation, ni scission, rien que l’unité originelle. Mais l’aspect féminin est
mis en avant car il y a une naissance dans le processus de la création. Le monde
est « mis au monde », il n’est pas créé.
La Déesse voit son reflet dans le miroir de l’éther ce qui pourrait être
considéré comme un regard magique dans la représentation de l’univers, dans le
domaine tordu de la physique moderne. Le miroir est un ancien attribut de la
Déesse, affirme Robert Graves, dans sa représentation en tant que « ancienne
déesse païenne de la mer, Marian…, Miriam, Mariamne, Myrrhine, Myrtea, Maria ou
Marina, protectrice des écrivains et des amoureux, et fière mère des cupidons ….
Marian est souvent représentée comme étant une sirène…. La représentation
conventionnelle de la sirène –une très belle jeune femme, avec une queue de
poisson, un miroir rond et un peigne en or- signifie « la Déesse de l’amour
vient de la mer ».
Il y a une autre symbolique du miroir : le reflet dans le miroir est une image
inversée, identique, mais opposée, la polarité inverse. Ce reflet exprime le
paradoxe : toutes choses sont un, et pourtant chaque chose est unique,
individuelle par rapport à elle-même. Les religions orientales ont surtout
retenu la première partie du paradoxe, et partent du principe que toute chose ne
font qu’un et que l’individualité n’est qu’illusion. Les religions occidentales
prônent plutôt l’individualité et pensent en général que le monde est fait d’une
multitude de choses uniques. La vision occidentale encourage l’effort
individuel, et l’engagement individuel dans le monde. La vision orientale prône
le recul, la contemplation et la compassion. Dans la religion de la grande
Déesse on trouve ces deux façons de voir. Elles se font face et se complètent.
Elles ne sont pas contradictoires. Le monde fait de multiplicité est le reflet
de l’unité, et l’unité est le reflet de la myriade d’individualités. Nous sommes
tous des atomes de la même énergie, et pourtant chaque atome est unique dans son
aspect, et dans son apparence. La Déesse tombe amoureuse d’elle-même, et exprime
sa propre luminosité, qui acquerra une vie propre. L’amour ce ceux qui se
ressemblent est la force créatrice de l’univers. Le désir est l’énergie
primitive, et cette énergie est érotique : la force d’attraction entre celui qui
aime et celui qui est aimé, entre les étoiles et les planètes, entre l’électron
et le proton. L’amour est la glaise qui fait s’unir le monde.
Eros, l’aveugle, devient Amour, le bon. D’après Joseph Campbell, il s’agirait là
plus d’un aspect individuel et personnel que de l’amour du prochain, Agape, ou
de l’appétit sexuel. Le reflet de la déesse sort d’elle-même et reçoit un nom.
L’amour n’est pas seulement une force dispensatrice d’énergie, il est aussi
utile à l’individualisation. Il contrecarre la séparation et pourtant crée
l’individualité, il est l’ultime paradoxe.
Miria, la merveilleuse, est évidemment Marian-Mariam-Mariamne, puis Mari, le
côté « pleine lune » de la Déesse. Le sens du bonheur et du ravissement dans le
monde naturel est l’essence de la religion de la grande Déesse. Le monde n’est
pas une création imparfaite, rien que nous devions fuir. Elle ne demande ni
sauvetage ni pardon, mais il semble que chaque jour elle nous donne matière à
étonnement.
L’extase divine devient génératrice de la création, et la création est un
processus orgasmique.
L’extase est le cœur – lors des rituels nous dirigeons le paradoxe de
l’intérieur vers l’extérieur et devenons la Déesse, nous partageons la joie
originelle de l’unification.
L’extase conduit à l’harmonie, à la musique des sphères. Le mot musique est
l’expression symbolique de la vibration qui est commune à tous les êtres. Les
physiciens apprennent que les atomes et les molécules de toutes les matières,
depuis le gaz le plus volatile jusqu’au rocher de Gibraltar, sont en perpétuel
mouvement. Ce mouvement suit un ordre, qui devient la base de l’harmonie propre
de toute existence. La matière chante du fait de sa nature particulière.
La Déesse est de plus en plus emplie d’amour jusqu’à ce qu’elle donne naissance
à une pluie d’esprits, qui réveilleront la connaissance dans le monde, comme
l’humidité fait que la terre devient verte. La pluie est le sang menstruel, le
sang créateur de vie de la Lune, tout comme la perte des eaux annonce la
naissance, la restitution extatique de la vie.
Le mouvement et les vibrations deviennent si forts que Miria est expulsée. Plus
elle s’éloigne du point central de l’unification, et plus elle sera fortement
polarisée, différentiée et masculinisée. La Déesse s’est auto-projetée, son moi
projeté devient l’autre, le contraire, qui cherchera sans cesse à se réunifier.
C.G Jung dirait qu’elle a projeté son âme masculine, son animus. La
différenciation éveille le désir, qui va à l’encontre de la force de projection.
Le champ de forces du cosmos se polarise et devient le conducteur de forces qui
agissent en sens contraire. Cet ensemble est considéré comme champ énergétique,
qui est polarisé par deux puissantes forces –le masculin et le féminin, la
Déesse et le Dieu, qui se font fasse sous leur plus puissant aspect. Toutefois
nous devons distinguer ce concept de polarité de notre représentation culturelle
du masculin et du féminin. La puissance masculine et la puissance féminine sont
certes différentes, mais dans le fond elles ne le sont pas : elles sont la même
force qui va dans des directions différentes mais qui peuvent se réunir.
On peut décrire les forces de la façon suivante : aucune n’est active ou
passive, sombre ou lumineuse, sèche ou humide, au lieu de cela chacune est tout
cela à la fois. L’aspect féminin est considéré comme force créatrice de vie,
comme pouvoir de la révélation, de l’énergie, qui s’écoule dans le monde pour y
trouver une forme. L’aspect masculin est considéré comme puissance de la mort,
dans son sens positif et non négatif, la force de la restriction, qui est
l’opposé nécessaire de la création débridée, la force de la dissolution, le
retour à la non-forme. Chaque principe contient l’autre. La vie conduit à la
mort, nourrit la mort ; la mort contient la vie, rend l’évolution possible,
ainsi que la nouvelle création. Les deux font partie du même cycle, dépendant
l’une de l’autre.
L’existence est le résultat du va et vient, des deux courants changeants et
parfaitement équilibrés. La puissance de mort due aux guerres ou aux homicides
est incontrôlée. Mais, pris ensemble ils sont générateurs d’harmonie vitale, de
perfection cyclique, comme on peut l’observer dans le rythme des saisons, dans
l’équilibre écologique de la nature, et dans le cycle de la vie, depuis la
naissance jusqu’à la mort, puis à la renaissance, en passant par la sagesse et
la vieillesse.
La mort n’est pas la fin. C’est un stade du cycle, qui conduit à la renaissance.
Après la mort l’âme reste dans le « pays de l’été » au pays de l’éternelle
jeunesse, où elle est rajeunie et rénovée pour préparer son retour. La
renaissance est un immense cadeau de la part de la Déesse, qui est manifeste
dans le monde réel. La vie et le monde ne sont pas séparés de la Déesse, mais
sont partie intégrante de la divinité. La vie est quelque chose de merveilleux.
L’âge est une partie naturelle et très appréciée du cycle de la vie, c’est le
temps de la plus grande sagesse, du plus grand savoir. Evidemment la maladie
cause des souffrances, mais il ne faut pas la considérer comme inévitable. Dans
la pratique l’art de guérir, la médecine par les plantes et l'aide à la
naissance sont liées. Même la mort n’est pas effrayante. Il n’est que la
disparition de l’enveloppe physique, qui permet à l’âme de se préparer pour une
nouvelle vie. Oui, la peine et la douleur existent, elles font partie de
l’apprentissage, et doivent être amoindries grâce à un travail acharné. Car la
douleur est une part normale du devenir et de notre passage, elle sera adoucie
par la compréhension et l’acceptation, par le don de la lumière et des ténèbres
en échange.
La polarité entre masculin et féminin ne devrait pas être considérée comme
modèle valable pour les êtres mâles et femelles. Dans chaque être les deux
principes sont présents, nous sommes tout autant masculin que féminin. Etre
complet signifie vivre avec ces deux forces, la création et la destruction, la
croissance et la limitation. L’énergie engendrée par le courant de ces forces
coule en chacun de nous. A travers les rituels et la méditation on peut les
dissocier et les exprimer de telle sorte qu’elles vibrent à l’unisson avec
d’autres. Le sexe, par exemple, est bien plus que l’acte d’union de deux corps,
il est un courant polarisé entre deux êtres humains.
Le principe masculin est pratiquement considéré comme étant androgyne
(hermaphrodite) : l’enfant, le dieu bleu de l’amour, joueur de flûte. Son image
est étroitement liée à celle du Dieu Bleu, le Moi divin, qui est également
androgyne. Tendre jeunesse, fils bien-aimé, il n’est jamais sacrifié.
L’aspect vert est le Dieu de la végétation, l’esprit des blés, les épis qui sont
coupés et semés à nouveau, la semence, qui meurt à chaque récolte et qui à
chaque printemps renaît.
Le Dieu Cornu, qui dans l’esprit conventionnel est la projection masculine de la
Déesse, est le chasseur éternel, mais aussi l’animal, qui est chassé. Il est
l’animal sauvage qui est sacrifié, pour que la vie des hommes puisse continuer.
Mais il est aussi le sacrificateur qui fait couler le sang. On voit en lui le
soleil, qui inlassablement poursuit la lune dans le ciel. Les phases montantes
et descendantes du soleil au fil des saisons symbolisent le cycle vie et mort,
devenir et disparition, séparation et retour.
Déesse et Dieu, principes masculin et féminin, naissance et mort, vibrent sur
leur voie, impérissables et toujours en mouvement. La polarité, la force qui
unifie l’univers, est l’amour, individuel, érotique, transcendant. Le monde n’a
pas été créé brusquement à un moment précis. La création se fait à chaque
instant et s’inclut dans le cycle de l’année.
La roue de l’année
En amour, le Dieu Cornu cherche toujours la Déesse, sous diverses formes et avec
divers visages. Dans notre monde la quête apparaît dans le cycle de l’année.
Elle est la grande mère, qui le fait naître, enfant soleil, au solstice d’hiver.
Au printemps il est le semeur et la semence, et pousse dans la lumière
croissante, vert comme les jeunes pousses. Elle est la prêtresse. Elle l’initie
aux mystères. Il est le jeune taurillon. Elle est la nymphe, la séductrice.
En été, quand le jour est le plus long, ils s’unissent et la puissance de leur
passion contient le monde. Mais la figure du Dieu devient moins nette au fur et
à mesure que le soleil s’affaiblit, jusqu’à ce qu’enfin il se sacrifie lui-même,
quand le blé est récolté, pour que chacun puisse être nourri.
Elle est celle qui moissonne, le ventre de la terre, celle à laquelle tout doit
retourner. Durant les longues nuits et les jours sombres il repose dans son
corps. En rêve il est le maître de la mort qui règne sur le pays de la jeunesse,
à l’Est des portes du jour et de la nuit. Sa sombre tombe devient le chaudron de
la renaissance, car au milieu de l’hiver elle lui donne naissance à nouveau. Le
cycle prend fin et recommence à nouveau, et la roue de l’année tourne et tourne
encore.
Les rituels des 8 fêtes solaires découlent directement du mythe de la roue de
l’année.
La Déesse se manifeste à travers ses trois aspects : La jeune fille, qui fait
d’elle la gardienne vierge de la naissance et de l’initiation ; la nymphe qui
est la tentatrice sexuelle, l’amante, la sirène, la séductrice ; la vieille qui
fait d’elle le côté le plus sombre de la vie, qui génère la mort et le
sacrifice. Le Dieu est fils, frère, amant, qui deviendra son propre père : la
victime éternelle, à qui on redonne éternellement vie.
La religion de la Grande Déesse dans le monde fait avant tout ressortir la vie.
Le cosmos est un champ de forces polarisé. La polarité que nous nommons Dieu et
déesse, crée le courant, qui est à la base des changements dans les saisons, et
des mouvements des astres, de l’harmonie dans la nature, et de l’évolution dans
la vie des êtres humains. Nous admettons le jeu des forces en présence de deux
façons : la vision intégrale de la lumière des étoiles pour l’hémisphère droit
du cerveau, et l’instinctif, au même titre que ce que l’on sait par analyse pour
l’hémisphère gauche.
La communication entre le su et l’instinctif, entre le soi qui s’exprime et le
soi enfantin, et entre ce dernier avec le moi divin, l’esprit, dépend de notre
sincérité par rapport aux deux modes de perception.
Les notions verbales doivent être transposées en images ou symboles. Les images
intuitives doivent être placées à la lumière de la connaissance. A travers une
communication ouverte nous pouvons être à l’unisson du cycle de la nature, de
l’unisson primordiale extatique, qui est la force de la création. Cette mise au
diapason exige un sacrifice : être prêt à changer, accepter de ne pas rester
bloqué à un point de la roue, mais d’aller de l’avant. Mais ce sacrifice
n’implique pas de souffrance, et la vie, sous tous ses aspects, lumière et
ténèbres, croissance et disparition, est un immense cadeau. Dans un monde, où la
danse érotique du Dieu et de la Déesse est la trame rayonnante de toute chose,
nous, qui nous abandonnons à leur rythme, nous serons bouleversés par le miracle
et le mystère de l’existence.