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La
Mandragore
par Doreen Valiente version française Tof
Il existe tellement de légendes au
sujet de la racine de mandragore que les gens doutent souvent de la réelle
existence d’une telle plante. Elle est pourtant un vrai sujet du monde végétal
et on peut parfois voir de très curieuses racines de mandragore dans les musées.
La vraie mandragora atropa appartient à la famille des solanacées, qui a tant
donné à la sorcellerie. Parmi les solanacées, on trouve aussi la jusquiame, la
belladone et le datura, toutes des plantes de sinistre réputation.
Les sorcières du Moyen-Age pensaient que la mandragore était à mi-chemin entre
le monde végétal et celui des humains. Ses feuilles brillent dans la nuit d’un
rougeoiement sinistre. Ses fleurs et ses fruits exsudent un parfum narcotique et
stupéfiant. Ses racines ont l’apparence d’une petite figure humaine, un
homunculus, qui vit d’une vie surnaturelle et diabolique – prêt à devenir le
familier du mortel qui osera en prendre possession.
Cette entreprise est pleine de périls, car la mandragore, lorsqu’on la retire de
terre, pousse un cri si horrible et mortel que celui qui l’entend devient soit
fou soit tombe mort sur place.
La sorcière qui veut se procurer une mandragore doit suivre un bien curieux
rituel. Une fois qu’elle a trouvé la plante, qui pousse d’habitude au pied d’un
gibet où se balance un criminel exécuté par pendaison, la sorcière devra s’y
rendre au moment où le soleil se couche.
A la lueur des derniers rayons du soleil mourant, elle devra tracer trois
cercles autour de la mandragore avec son épée magique, tout en ayant d’abord
pris la précaution de se boucher les oreilles avec de la cire, ainsi elle ne
risquera pas d’entendre le cri de la mandragore.
Elle aura aussi pensé à emmener avec elle un chien affamé et de la viande
alléchante avec laquelle elle pourra attirer le chien. Elle aura aussi pris un
bâton d’ivoire avec lequel elle grattera soigneusement la terre autour de la
racine de mandragore. Elle attachera ensuite le malheureux chien à la racine et
s’éloignera avant de montrer la nourriture au chien. Le chien sautera vers la
viande et ainsi il arrachera la mandragore du sol. On dit qu’il mourra sur
place.
Comme précaution supplémentaire, l’opérateur sait aussi qu’il doit souffler fort
dans une corne dès qu’il verra la plante quitter le sol, cela afin de couvrir
autant que possible le cri hideux.
La sorcière prendra alors possession de la plante effroyable et l’enveloppera
dans un tissu de toile blanche et s’éloignera, avec sa prise, le plus rapidement
possible à travers la noirceur de la nuit.
Aussi étrange que cette histoire puisse paraître, certaines de ces anciennes
croyances au sujet de la mandragore sont basées sur des faits. La plante a une
racine grande et charnue qui a forme humaine. Il émane de cette plante un parfum
étrange que certains trouvent plaisant et d’autres des plus repoussants et il a
probablement des propriétés narcotiques. La mandragore est probablement le plus
ancien anesthésique dont se servent les hommes. Lors des premiers balbutiements
de la chirurgie, on se servait de mandragore pour plonger le patient dans
sommeil très profond durant lequel on pouvait l’opérer. On faisait une infusion
ou une décoction avec la racine de la plante dans du vin et on en faisait boire
un peu au patient. Mais le chirurgien préhistorique devait être très prudent
avec les doses, car une dose trop forte pouvait être mortelle. Parfois la
mandragore était mélangée à d’autres narcotiques et on en imprégnait une éponge
que l’on pouvait appliquer sur les narines du patient jusqu’à ce qu’il s’endorme
d’un sommeil probablement plus léger qu’en en prenant par voie orale.
Ce qui est peut être le plus curieux, c’est que la croyance qui veut que la
mandragore brille dans la nuit est basée sur un fait. Pour certaines raisons,
ses feuilles attirent les vers luisants et ce sont ces petits insectes, dont la
luminescence verdâtre est frappante, qui font briller la mandragore dans la
nuit. Celui qui ne le sait pas pourra sûrement être saisi par l’apparence de
cette plante dans le noir et pensera que les anciennes légendes au sujet de ses
pouvoirs démoniaques peuvent être dans le vrai.
C’est ainsi que la mandragore a
gagné son appellation de « chandelle du diable ».
Même l’histoire au sujet de cri de la mandragore lorsqu’on la déracine peut
avoir une part de vérité à partir de laquelle la légende s’est développée. Les
plantes avec de grandes racines charnues poussent en général en des lieux
humides et lorsqu’on les arrache doucement, elles font un bruit de sucions
grinçant. Le chercheur de mandragore n’aurait pas eu à chercher plus loin.
Bien sûr, tous les détails horribles de la légende de la mandragore sont
propagés par ceux qui vendent des mandragores. Des gens paient de très fortes
sommes pour une belle mandragore d’apparence humaine, car ils lui donnent la
même valeur qu’un talisman. On croyait qu’elle portait chance à son propriétaire
dans tous les aspects de sa vie, mais tout spécialement en matière d’amour et de
fertilité.
Cette dernière croyance était répandue dans tout l’ancien monde comme le montre
la genèse avec l’histoire de Rachel, Léa et de la mandragore et elle perdure
jusqu’à nos jours.
Des mandragores entières sont vendues parfois. Elles sont importées en
Angleterre à prix d’or et certains herboristes ésotériques vendent des morceaux
de racine de mandragore aux gens qui les porteront en guise de porte-bonheur.
Posséder une mandragore qui était habitée par un esprit familier était autrefois
une des pratiques des sorcières européennes.
En 1603, une femme fut pendue comme sorcière à Romorantin près d’Orléans. Elle
était accusée d’avoir un esprit familier qui avait pris l’apparence d’une
mandragore. Elle était l’épouse d’un Maure et avait probablement obtenu une
racine en provenance du Moyen-Orient, où sécher et tailler des racines de
mandragores était considéré comme une profession par les spécialistes de l’art.
Lorsque Jeanne d’Arc fut jugée comme sorcière, une des accusations portées
contre elle était d’avoir un esprit familier sous la forme d’une mandragore
qu’elle conservait contre son sein, ce qu’elle niait.
En 1630, trois femmes accusées de sorcellerie et de posséder des mandragores ont
été exécutées à Hambourg.
Une des manières dont une sorcière se servait de la mandragore était de la
placer sous son oreiller la nuit, ainsi l’esprit de la mandragore pouvait
l’instruire pendant ses rêves. La mandragore était connue sous d’autres noms : «
le mannequin de terre », « le petit homme des gibets » (une allusion au fait
qu’on la trouvait sous les gibets) ou « Alraun », un mot qui à l’origine devait
désigner une sorcière et dont la signification a peu à peu glissé vers le sens
de familier d’une sorcière. On l’utilisait surtout en Allemagne où l’Alraun
était une possession de valeur, conservée en grand secret et qui faisait partie
du patrimoine familial. Il fallait la conserver dans une boite, enveloppée dans
de la soie et lui faire prendre un bain quatre fois pas an, probablement dans du
vin ou du cognac. Le liquide qui avait servi pour ce bain était supposé avoir
des vertus magiques et pouvait être aspergé, autour de la maison, pour porter
chance à ceux qui y résidaient, en utilisant un pulvérisateur à plantes.
La vraie mandragore, l’atropa
mandragora, n’est pas une plante britannique mais pousse plutôt dans les pays
plus chauds du pourtour méditerranéen et du Proche Orient.
Pourtant, on parle des miracles et des vertus de la mandragore dans les ouvrages
anglais sur les plantes dés le XIème siècle, elle a donc dû être importée. A
l’époque d’Henry VIII, des racines présentées comme étant des racines de
mandragore étaient vendues dans des boites à des fins magiques.
Francis Bacon parle dans ses ouvrages de sorcellerie et de mandragore :
« Il y a des plantes, rares, qui ont une racine moussue ou duveteuse ainsi que
de nombreux fils qui en sortent, comme de la barbe, dont les sorcières ou des
imposteurs font une effigie affreuse et lui donnent la forme d’un visage au
sommet de la racine et ses fils formant une barbe qui pendent jusqu’aux pieds ».
Les pauvres sorcières de la campagne britannique, qui ne pouvaient s’offrir ou
obtenir une vraie racine de mandragore, devaient utiliser des racines de navet
blanc ou de tamier. D’ailleurs, ces plantes sont aussi connues sous le nom de
mandragore anglaise. Aux USA, une plante médicinale appelée podophyllum peltatum
est appelée mandragore américaine, mais il s’agit d’une plante très différente
des plantes citées plus haut.
Gerade, Parkinson et Turner, trois herboristes d’autrefois, ont dénoncé les
mannequins en mandragore à l’apparence humaine comme étant moins l’œuvre de la
nature que des contrefaçons d’artistes destinées à soutirer de l’argent aux
crédules. Dans un vieux livre intitulé « A Thousand Notable Things », publié
pour la première fois à Londres en 1579 et qui a été réédité de nombreuses fois
depuis, Thomas Lupton raconte de manière étrange comment il fallait procéder :
« Prenez une grande racine double de navet blanc ou de tamier fraîchement
déterrée et, avec un couteau bien aiguisé, ébauchez la forme d’un homme ou d’une
femme avec tous ses membres. Lorsque le résultat sera satisfaisant, faites de
petites incisions sur la tête à l’emplacement des sourcils, du menton et à
l’emplacement des parties. Placez ensuite dans ces incisions des graines de
millet ou de n’importe quelle plante qui donne de petites racines qui
ressemblent à des cheveux (des barbes de poireaux ou de l’orge feront très bien
l’affaire). Après cela, replacez le tout en terre et couvrez de terre jusqu’à ce
que la racine se couvre d’une petite peau. Vous aurez alors devant vous une
idole monstrueuse et chevelue qui fera l’affaire si elle ressemble à un humain »
.
Mais, dire que les « sorcières et les imposteurs » ne font cela que pour gruger
les crédules serait incorrect. Certaines personnes vendent ces racines pour y
trouver profit, c’est certain, mais les sorcières fabriquent des mandragores
pour y héberger un esprit familier, en donnant à un élémental une effigie où il
pourra résider si le travail a été effectué lors d’une cérémonie appropriée. On
utilise une racine pour cela, car une racine contient la vie, et cette essence
de vie l’aidera à accomplir sa tache.
La nuit de la Pleine Lune était le bon moment pour déterrer une racine de navet.
Alors on faisait la sculpture nécessaire et la racine était ré-enterrée jusqu’à
la Pleine Lune suivante. A ce moment, une peau blanche aura recouvert la racine
et elle paraîtra naturelle. Les cheveux auront poussé et la racine sera séchée
soigneusement et lentement, généralement au-dessus d’un feu de verveine (une
herbe magique), la mandragore baignera dans cette fumée. Certains cependant
séchaient la mandragore dans un bain de sable chaud, le « balneum arenae » des
alchimistes. Cette opération présente certaines ressemblances avec la
fabrication légendaire d’un « homunculus » ou homme artificiel. Voilà peut être
même là l’origine de la légende.
Une fois que la mandragore était sèche, elle était enveloppée dans un tissu de
soie blanche et conservée dans une boite. Parfois la mandragore était vêtue d’un
petit manteau rouge brodé de signes magiques, le rouge étant la couleur de la
vie. Ensuite, lors de certaines nuits propices, comme lors des grands sabbats,
la mandragore était consacrée comme il se doit et un esprit bienfaisant était
invité à prendre possession de la racine et à lui donner une âme.
Cela peut expliquer certaines anciennes histoires où le diable donnait des
esprits familiers aux sorcières. Ce qu’il donnait réellement était soit une
petite créature vivante, qui pouvait parfois être possédée par un esprit, ou
quelque chose comme la mandragore dont un esprit pouvait prendre possession.
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