La Wica
    Textes de/sur Gerald Gardner

       Textes de/sur les Prêtresses de Gardner
        Textes de / sur Doreen Valiente
        Texte de / sur Dayonis
        Texte de / sur Lois Bourne
        Textes de / sur Eleanor Bone

        Textes de / sur Patricia Crowther
        Textes de / sur Monique Wilson

    Les Anciennes Lois
    Théologie, Dogmes et Croyances
    Sur la Pratique
    Sur l'Histoire
    Lignée & Traditions
    Le Livre des Ombres
    Le Livre des Plantes
    Les Gens
    L'Initiation
    Le(s) Secret(s)
    La Validité
    Outils et Accessoires

  Le NROOGD

  Dion Fortune & The Society of Inner Light

  Alex Sanders & la Tradition Alexandrienne

  Chamanisme / Faery / Huna

  Magie Enochienne

  Reclaiming / Feri / 3rd Road

  Thelema

  Tubal Cain

  Autres

 

La Librairie

Le Cercle de la Pierre Sorcière

Liens

Dernières mises à jour du site


 


A la recherche d’Old Dorothy

par Doreen Valiente version française Tof

Je souhaite réellement dédier cet essai au Professeur Jeffrey B. Russell dont le livre « A History of Witchcraft : Sorcerers, Heretics and Pagans » (Thames & Hudson, London 1980) m’a poussée à faire les recherches dont je parle ici. Dans le chapitre 9 de ce livre, le Professeur Russell dit que les Gardneriens «  racontent que Gardner a été initié en sorcellerie en 1939 par Old Dorothy Clutterbuck, une sorcière de la New Forest ». Il ajoute ceci : « En fait il n’y a aucune preuve que Old Dorothy ait existé » ce qui impliquerait que Gerald Gardner l’ait inventée ainsi que le reste de la prétendue tradition de l’Art des Sages.

J’ai été initiée sorcière par Gerald Gardner en 1953 et il m’a souvent parlé d’Old Dorothy. De la façon dont il en parlait, elle semblait être une personne réelle. Ainsi je ne pouvais être d’accord avec le professeur Russell. Mais y a-t-il une preuve quelconque de l’existence d’Old Dorothy ? Et si oui comment pourrais-je prouver son existence ?

J’ai essayé de chercher ce que je pourrais découvrir et, étant une sorcière, j’ai commencé vers Hallowe’en 1980. Je savais que même si une personne était très discrète, il y a deux traces qu’elle laissait dans les registres publics, un certificat de naissance et un certificat de décès. Si je pouvais retrouver ces documents concernant Old Dorothy, ils constitueraient la preuve qu’elle n’était pas juste une émanation de l’imagination de quelqu’un. J’ai donc téléphoné au Bureau de l’Etat Civil local et j’ai obtenu l’adresse du Bureau de l’Etat Civil du District de la New Forest qui était situé à Lymington.

J’ai envoyé une lettre pleine d’espoir demandant si un certificat de décès pouvait être retrouvé. Gerald ne m’avait jamais dit exactement où Old Dorothy avait vécu et ou elle vivait quand elle est décédée. Je me suis donc basée sur l’affirmation trouvée dans sa biographie selon laquelle il n’était pas autorisé à écrire et publier quoi que ce fut sur la survivance du culte des sorcières « avant que Dorothy ne meure ». (cf « Gerald Gardner : Witch » J.L. Bracelin, The Octagon Press, London, 1960). Même là le texte fut présenté comme une fiction, dans le roman « High Magic’s Aid » de Gerald Gardner qui fut publié par Michael Houghton à Londres en 1949. J’en ai donc conclu qu’Old Dorothy était décédée en 1949.

J’ai réalisé que ma demande au Bureau de l’Etat Civil de Lymington était vague, j’ai donc décidé de faire d’autres recherches pour trouver plus précisément où elle avait vécu. La nuit d’Hallowe’en 1980, trois sorcières, dont moi, se sont rencontrées dans un bois du Sud de l’Angleterre. Hallowe’en est l’ancienne fête celtique de Samhain, ou la fin de l’été, un des Grands Sabbats de l’année sorcière. C’est la vieille fête des morts que l’Eglise Chrétienne a adaptée pour en faire la Toussaint. Pour les sorcières et les païens c’était et c’est toujours le moment où les portes de l’autre monde s’ouvrent et nos amis et nos parents qui ont franchi ces portes pour aller dans le Pays de Féerie, le paradis païen, peuvent revenir s’ils le souhaitent et communiquer avec nous. A cette époque nous nous souvenons toujours de ceux qui s’en sont allés, ceux que nous avons connus et nos prédécesseurs dont les noms nous sont inconnus mais qui furent victimes des grandes chasses aux sorcières du passé ou peut être de ceux qui ont vécu et sont décédés sans qu’on découvre qu’ils adhéraient secrètement à la sorcellerie. (Il y avait une très bonne raison pour qu’Old Dorothy se retrouve dans cette dernière catégorie. La sorcellerie est restée illégale dans ce pays jusqu’en 1951. Plus encore, les réactions des autres vis à vis de ceux qui étudient et pratiquent l’occulte sont très différentes aujourd’hui de ce qu’elles étaient dans les années 1930 et 1940. Ca peut fort bien être Old Dorothy qui a fait remarquer à Gerald que la « sorcellerie ne rembourse pas les carreaux cassés » lorsqu’il souhaitait écrire au sujet des traditions survivantes.)

Je m’étais mise en tête d’essayer de contacter Old Dorothy cette nuit d’Hallowe’en. Le temps était froid et la nuit sombre, la lune étant dans son dernier quartier. La plupart de nos amis avaient célébré le Sabbat dans la joie à leur domicile. Pour les païens, la nuit des morts n’est pas une occasion lugubre mais plutôt une réunion joyeuse. Je savais que l’éclairage était fourni par des chandelles et des lanternes-citrouilles, que les danseurs dansaient nus dans le cercle et qu’on se partageait les gâteaux et le vin. Mais les forêts sombres, avec les feuilles d’automne sous mes pieds et les étoiles qui brillaient entre les plus hautes branches me manquaient.

J’avais deux compagnons que je désignerais par leur nom sorcier, Fiona et Dusio. Dusio et moi sommes arrivés dans la forêt alors que le soir tombait de manière à avoir assez de lumière pour rassembler du bois mort pour faire un petit feu de joie. Il faisait totalement noir lorsque nous fûmes prêts. Puis Dusio a vu une lumière s’approcher à travers les arbres et Fiona nous a rejoints.

Nous avons formé notre cercle et avons procédé à nos rites d’Hallowe’en en invoquant les Anciens Dieux. Le feu de joie crépitait et mêlait son odeur de bois brûlé avec celle de l’encens qui se consumait dans l’encensoir. Aux quatre directions, est, sud, ouest et nord il y avait des lanternes contenant des chandelles qui éclairaient un peu le lieu d’une lumière qui rougeoyait dans les ténèbres autour de nous.

Il n’était nullement question de pratiquer nu par cette nuit glacée d’octobre. Nous portions des robes ou une cape à capuchon mais nous étions pieds nus. Après avoir réchauffé notre sang en dansant autour du cercle, j’ai expliqué aux autres ce que nous voulions faire, à savoir invoquer l’esprit d’Old Dorothy. Ils ont accepté et j’ai fait une courte invocation où je lui demandais de me montrer d’une façon ou d’une autre si elle voulait que je connaisse le succès dans ma quête.

Je n’espérais pas tout de suite un phénomène physique, mais nous en avons eu un. Peu après que j’aie appelé Old Dorothy, la lanterne qui se trouvait au sud s’est renversée avec une telle force que son verre s’est brisé.

J’ai pensé que peut être ma cape s’y était accrochée mais Fiona qui faisait attention m’a dit que ça n’avait pas été le cas et ni Fiona ni Dusio ne portaient de cape assez longue pour cela. Dusio a dit que peut être un petit animal avait couru dans la forêt et reversé la lanterne mais nous n’avons pas vu d’animal. Nous en sommes arrivés à penser qu’il y avait de fortes possibilités qu’il s’agisse d’un phénomène surnaturel. J’y ai cru car j’ai entendu une voix à l’extérieur du cercle semblant venir du sud. Elle appelait mon nom : « Doreen ! » Les autres ne l’ont pas entendue mais je l’ai clairement entendue et la voix ressemblait à celle de Gerald Gardner.

Nos amis défunts s’arrangent souvent pour faire sentir leur présence d’une manière ou d’une autre lors de cette occasion rituelle. Lors d’une précédente nuit d’Hallowe’en nous pratiquions avec Drusio dans un coin de campagne dans le Sussex lorsque nous avons vu une magnifique lumière bleue, comme une étoile, apparaître en dehors du cercle. Nous l’avons vu tous les deux clairement et il n’y avait pas d’explication naturelle à ce phénomène.

Je fus donc renforcée dans mon idée de retrouver Old Dorothy même si mes lettres n’ont rien donné. A l’Etat Civil de Lymington on n’a pu trouver de trace de certificat de décès et ils suggéraient d’essayer à l’Etat Civil central de Londres où les registres de naissance et de décès nationaux sont conservés. La société qui édite le Bottin était en train de déménager ses archives du centre de Londres vers le Surrey, elles étaient donc temporairement indisponibles. Mon seul espoir était qu’une grande bibliothèque en ait des exemplaires dans ses collections.

Mais quelle grande bibliothèque ? Il n’y avait pas de grande bibliothèque dans la région de la New Forest. Mais peut être dans une grande ville pas trop loin ? Winchester ? Bournemouth ?

Les seuls indices dont je disposais étaient les passages sur Old Dorothy dans « Gerald Gardner : Witch » la biographie écrite par Jack Bracelin. Selon ce livre Gerald Gardner résidait quelque part dans les environs de Christchurch dans le Hampshire où il a découvert le Rosicrucian Theatre « lors de ses longues promenades à bicyclette » et a sympathisé avec le groupe qui s’en occupait. C’est via ce groupe qu’il a fait la connaissance de Old Dorothy. Il y avait donc peut être une chance que, Bournemouth étant plus proche de Christchurch que Winchester, les recherches y soient plus productives. Dans notre Bibliothèque locale j’ai obtenu l’adresse de la Bibliothèque du Comté de Bournemouth (qui est maintenant dans le Dorset mais à l’époque de Gerald, Bournemouth faisait partie du Hampshire). Sans grand enthousiasme j’ai écrit à cette bibliothèque en expliquant que j’étais en train de rechercher la trace d’une mme Dorothy Clutterbuck, qui résidait quelque part dans la région de la New Forest dans les années 1930 et au début des années 1940, je leur demandais s’ils pouvaient m’aider.

Ils pouvaient et ils l’ont fait. Cette excellente bibliothèque m’a fourni ma première découverte capitale. A la mi-janvier 1981, un des bibliothécaires m’a écrit ce qui suit :

« L’équipe de la bibliothèque a cherché Mme Dorothy Clutterbuck dans les annuaires locaux et a trouvé ceci :

‘Annuaire de la grande région de Christchurch, 1933.

‘ Clutterbuck, Dorothy, Mill House, Lymington Road, Highcliffe.

‘Fordham, Rupert, Mill House.”

La lettre disait aussi que dans les Bottins de Bournemouth, Poole et Christhchurch on trouvait Rupert Fordham à la Mill House en 1936 mais pas de Clutterbuck. Dans l’édition de 1940 il y avait une mme Fordham à cette adresse. Donc si j’avais pu consulter les bottins ils ne m’auraient été d’aucune utilité. Mais cet obscur petit annuaire m’a fourni ma première preuve de l’existence de Dorothy Cluterbuck. Plus encore, j’ai vite recherché Highcliffe sur une carte et j’ai vu que cette ville était juste à côté de Christchurch. C’était en fait là où j’avais rencontré pour la première fois Gerald Gardner dans la demeure d’une de ses amies en 1952.

La lettre du bibliothécaire disait aussi :

« Sur les listes électorales de Christchurch il est indiqué que mme Clutterbuck est devenue mme Fordham en 1937/38. Malheureusement durant les années de guerre les listes n’étaient pas compilées et mme Fordham a disparu par la suite. S’agit-il de la personne que vous recherchez, je ne peux le dire ».

Je n’en étais pas certaine non plus. Mais tout au fond de moi j’en étais sûre. C’était le bon lieu et la bonne époque. J’avais beaucoup de chance que Old Dorothy ait eu un nom peu commun comme Clutterbuck ! Si elle s’était appelée Dorothy Smith ou Dorothy Jones, mes recherches auraient été sans espoir.

Mais il me fallait maintenant le prouver. Je devais trouver quelque chose de plus substantiel qu’une ligne dans un vieil annuaire. J’avais maintenant la date approximative d’un mariage possible dont il devait exister une trace à l’Etat Civil. Si je pouvais le trouver, on y lirait son age à cette époque ce qui pourrait m’aider dans ma recherche de son acte de naissance. J’ai donc envoyé une autre lettre pleine d’espoir à l’Etat Civil de Bournemouth pour demander s’ils avaient la trace d’un mariage ou d’un décès d’une mme Clutterbuck ou une mme Fordham.

Et le responsable m’a répondu de façon fort aimable. Son équipe a fouillé dans de nombreux index mais il n’y aucune trace de mariage ou de décès. Pour le mariage ils ont cherché de 1936 à 1940. Pour le décès ils ont cherché de 1943 à 1948. Comme auparavant il a suggéré de me rendre à Londres et de chercher dans l’index national des Etats Civils.   

Il s’agissait là d’un obstacle imprévu. Mais, peut être que Old Dorothy s’était mariée quelque part ailleurs. Peut être s’est elle mariée outremer. Ou peut être que son mariage fut un handfasting à la mode sorcière au lieu d’une cérémonie reconnue par l’Etat Civil. Visiblement  il me faudrait aller à Londres pour poursuivre mes recherches, mais je n’avais que bien peu d’indices pour continuer, je n’avais aucune information précise sur sa naissance, son mariage et sa mort. Et il pouvait y avoir des douzaines de Dorothy Clutterbuck parmi les millions de noms dans ces registres nationaux.

Il semblerait bien que ce soit une tâche ardue et ce le fut. Par chance j’ai décidé d’aller à Londres le 30 avril 1981. J’ai découvert que les registres de naissances et de mariages étaient conservés à la St Catherine’s House sur la Kingsway et ceux des décès dans la Alexandra House non loin. Ils sont regroupés dans de très gros volumes, en général quatre par an, un par trimestre. Après avoir les avoir descendus des étagères et remis en place pendant plusieurs heures j’avais l’impression qui s’agissait de sacs de charbon très lourds.

J’ai commencé par les registres de mariages car j’avais au moins une date approximative de mariage. Il n’y avait rien. Je suis ensuite allée à la Alexandra House et j’ai fait une recherche encore plus longue dans les certificats de décès. Je savais que Old Dorothy avait présidé lors des rites contre Hitler dans la New Forest. Ces rites avaient débuté à Lammas en 1940, ainsi elle était encore vivante et en forme à cette époque. Et Gerald a publié « High Magic’s Aid » en 1949. Je devais donc chercher entre 1941 et 1948. La seule Dorothy Clutterbuck dont j’aie trouvé la trace durant cette période était une fille de quatorze ans qui est morte à Manchester. Le nom de Fordham n’a pas donné de résultat plus probant.

J’ai eu une idée. Et si elle avait changé légalement de nom ? Je suis donc allée consulter ces registres. Ceux qui se sont occupés de moi étaient sympathiques et d’une grande aide mais il n’y avait rien à trouver. Il ne me restait plus qu’à reprendre le train et rentrer chez moi. Il me fallait des informations sur sa vie et je devais continuer à chercher.

La Bibliothèque du Comté à Bournemouth a été des plus précieuses et m’a m’envoyé les photocopies de ce qu’ils avaient trouvé. Cela fut utile car ça établissait que Gerald Gardner et son épouse Donna vivaient à Highcliffe à l’époque où sa biographie dit qu’il a été initié par Old Dorothy, « quelques jours après le début de la guerre » en septembre 1939. Selon « Gerald Gardner : Witch » cette initiation a eu lieu chez Old Dorothy, « une grande maison dans le voisinage ». Le même livre décrit Old Dorothy comme « une dame importante dans le canton et bien comme il faut. Elle portait toujours un collier de perles d’une valeur de 5000£ de l ‘époque ». Ce livre fut publié du vivant de Gerald Gardner, ces détails devaient probablement venir de lui.

La référence au Rosicrucian Theatre était aussi une piste. Cela se passait à Sumerford, il fut inauguré en 1938. La Bibliothèque Bournemouth toujours aussi précieuse m’a procuré des photocopies de coupures de presse à son sujet. Comme l’a dit Gerald, mme Mabel Besant-Scott, la fille d’Annie Besant vivait dans les parages et fut associée au projet. Tout cela était fort intéressant mais n’avait pas grand rapport avec ce que je voulais savoir.

A cette époque j’ai fait une pause et me consacrais à d’autres tâches dont une collaboration avec Janet et Stewart Farrar sur le livre « The Witches’ Way ». Puis ce fut à nouveau Hallowe’en qui fut célébré dans la joie mais cette fois en intérieur avec un groupe d’amis. J’ai souvent pensé à Old Dorothy et je me souvenais de la nuit dans les bois l’année précédente. D’une certaine façon j’étais certaine que ce n’était pas la fin de cette histoire.

Pourtant je n’ai pas avancé avant le 1er mars 1982. J’étais alors en train de dépoussiérer et reclasser des livres sur une étagère. Derrière ces livres j’ai retrouvé un livret. Il était intitulé « The Museum of Witchcraft : the Story of the Famous Witches’ Mill at Castletown, Isle of Man ». Il avait été écrit et publié par Gerald Gardner pour servir de guide pour son musée de la sorcellerie. Je l’ai feuilleté me souvenant du passé et j’ai vu un paragraphe qui semblait me sauter à la figure !

« Vitrine N°1. Un grand nombre d’objets ayant appartenu à une sorcière décédée en 1951, prêtés pas ses proches qui souhaitent rester anonymes. »

Une sorcière décédée en 1951 ! Est-ce que ce pourrait être Old Dorothy ? Je savais qu’il ne s’agissait pas de la dame qui avait prêté d’autres objets au musée car elle était encore vivante en 1951. Est-ce que la date que je cherchais était cachée depuis tout ce temps dans ma bibliothèque ?

Dès que j’ai pu, je me suis rendue à Londres pour chercher. Cette fois j’ai presque tout de suite trouvé le document à la Alexandra House. Lors du premier trimestre 1951, une Dorothy St Q. Fordham est décédée dans la région de Christchurch, elle était âgée de 70 ans. J’ai demandé qu’on m’envoie par la poste ce certificat de décès.

Puis, enfin ragaillardie par le succès, j’ai décidé d’essayer de trouver également un certificat de naissance. En faisant un petit calcul d’après son âge au moment de son décès, elle avait dû naître vers 1881. Dans les archives de 1880 et 1881 il n’y avait nulle trace de la naissance d’une Dorothy Clutterbuck, mais dans celles de 1882 il y en avait une. Est-ce que j’avais  vraiment trouvé ce que je cherchais ? J’ai aussi commandé une copie de ce certificat et je suis allée célébrer mon triomphe avec un thé, des scones beurrés et de la confiture dans un petit café juste à côté. Puis je suis rentrée chez moi et j’ai attendu les copies des certificats.

Le certificat de décès est arrivé en premier et m’en a appris beaucoup. Dorothy St Quintin Fordham est décédée à Highcliffe dans le district de Christchurch le 12 janvier 1951. La personne qui s’était chargée de la déclaration de décès (j’ai découvert par la suite que c’était son notaire) la décrit comme « Célibataire aux idées ouvertes, fille de Thomas St Quintin Clutterbuck, Lieutenant-Colonel de l’Armée des Indes (décédé) ».  La cause principale du décès était une thrombose cérébrale en d’autres termes une attaque. Cela a été confirmé par la chronique nécrologique du Times que j’ai trouvée dans les archives microfilmées de la bibliothèque locale qui précisait qu’elle est décédée « après une courte maladie ».

Mais lorsque le certificat de naissance est arrivé quelques jours plus tard je n’ai eu qu’à y jeter un œil pour constater que ce n’était pas la Dorothy Clutterbuck que je cherchais. Je doutais déjà à cause du district qui était indiqué dans l’index, Stow dans le Suffolk. Je voyais maintenant que le nom de son père était aussi une autre personne, Alexander Clutterbuck au lieu de Thomas St. Quintin. Je n’avais que la moitié de la réponse. Et j’avais fouillé dans ces index dans tous les sens du terme.

Est-ce que j’allais connaître une nouvelle période de blocage ? Non car j’avais maintenant des faits concrets sur lesquels me baser, même si ce n’était pas grand chose : les détails du certificat de décès. J’ai décidé de rechercher Thomas St Quintin Clutterbuck dans les vieilles listes de l’Armée dans l’espoir d’en trouver un. Heureusement la bibliothèque locale avait dans ses rayons les Listes Militaires de 1881. J’ai regardé dans ses pages jaunies où figuraient des longues listes de noms. Il y avait là les vaillants soldats de la Reine à l’époque où Victoria était sur le trône et que l’Empire Britannique était puissant et apparemment immuable. Dans mon imagination, je voyais leurs uniformes écarlates, splendides avec leurs gallons dorés et leurs médailles. Et Thomas St Q. Clutterbuck figurait dans ces listes comme Major des Forces Locales Indiennes au Bengal le 14 juillet 1880.

Ce devait être vers cette époque qu’est née Dorothy. Est-elle née en Inde ? C’était tout à fait possible. Mais dans ce cas sera-t-il possible de trouver la trace d’une telle naissance ?

Bon, je retournerai en ville et je chercherai. J’avais acheté un livre appelé « Discovering Your Family Tree » de David Iredale (Shire Publications, Aylesbury, Buck., 1977). On y lisait que le Registre Général (auparavant dans la Somerset House mais maintenant dans le St Catherine’s House) conservait des informations concernant les familles de militaires et il remontait jusqu’en 1761. Il y avait donc quelque espoir. Il semblait aussi probable qu’une dame à l’esprit libre comme Dorothy ait laissé un testament. Comme j’avais maintenant les bonnes informations sur son décès, j’ai écrit à la Somerset House et j’ai demandé comment obtenir une copie de ses dernières volontés.

J’y suis arrivée. J’ai eu une sensation étrange lorsque j’ai ouvert la longue enveloppe en papier kraft et je réalisais que je m’apprêtais à voir la photocopie de la signature d’Old Dorothy. C’était une signature inhabituelle, artistique mais très claire, le lien le plus personnel jusqu’à elle que je sois parvenue à découvrir.

Le testament faisait plusieurs pages et montrait clairement que Old Dorothy était effectivement « une dame importante dans le canton » et « bien comme il faut ». La valeur de ce qu’elle laissait se montait à 60000£ ce qui représentait beaucoup d’argent en 1951. Plus encore, elle possédait des perles de valeur qui étaient mentionnées dans son testament.

Alors, où en étais-je ? Il était certain qu’une Dorothy Clutterbuck ait existé et son âge et son milieu correspondaient à la description qu’en avait faite Gerald Gardner. Elle avait vécu à Highcliffe à la même époque que Gerald. Elle est décédée en 1951 la date donnée dans le livret de Gerald. De même, il est aussi certain que le Rosicrucian Theatre a existé sous le patronage de Mabel Besant-Scott et qu’il y avait un groupe appelé le Rosicrucian Order, Crotona Fellowship. Ce groupe était dirigé par le Dr. G.A. Sullivan, qui selon la presse, avait été un acteur shakespearien bien connu sous le nom d’Alex Mathews. Il est mort en 1942.

Ce qui m’avait égarée au début de ma recherche c’était l’affirmation qu’à l’époque de la publication de « High Magic’s Aid » Old Dorothy était déjà morte. Je savais maintenant que ce n’était pas le cas et cela donne un nouvel éclairage aux rituels de sorcellerie décrits dans ce livre. Ils ont été publiés alors que Old Dorothy était toujours vivante mais sous une forme romanesque. « High Magic’s Aid » est un roman historique et selon moi un très bon. En le re-lisant avec attention, j’ai trouvé qu’un lieu appelé « St Clare-in-Walden » dans le livre qui correspondait bien à Christchurch, la ville la plus ancienne de cette région (à la fois Bournemouth et Highcliffe sont des villes récentes en comparaison). L’action du livre se déroule au bord d’une grande forêt, à nouveau cela colle avec la situation de Christchurch qui est en bordure de la New Forest. Les noms cités sont : St Catherine’s Hill, the River Stour, ‘the mill at Walkford’.

Souvenons-nous de ce que Gerald Gardner a dit dans un livre plus récent « Witchcraft Today » (Rider, London, 1954) : ‘J’ai rencontré des gens qui affirmaient m’avoir connu dans une vie antérieure… Je me suis rapidement retrouvé dans le cercle et j’ai fait l’habituel serment de secret qui m’empêche de révéler les secrets du culte. Mais c’était un culte mourant, Je pensais que c’était regrettable que tout ce savoir soit perdu, ainsi finalement je fus autorisé à décrire, sous forme de fiction, les croyances d’une sorcière dans le roman « High Magic’s Aid ».

Ainsi la personne qui a donné cette autorisation devait être Old Dorothy elle-même. Cela semble être une bonne présomption de preuve de l’authenticité de ces rituels, même si plus tard lorsque Gerald était persécuté et trompé par les journalistes à sensation, il a trouvé plus commode de dire que ce livre était surtout une fiction. Maintenant, surtout grâce à Gerald Gardner, l’Ancienne Religion n’est plus un culte mourant mais est bien vivant, non seulement dans les Iles Britanniques mais aussi aux USA, au Canada, en Australie et en Hollande, tous ces pays ont aujourd’hui leurs propres magazines et bulletins parlant de sorcellerie.

Mais qu’en est-il des origines de Old Dorothy ? Je ne sais toujours rien de sa famille maternelle et je n’ai découvert que ce que son certificat de naissance pouvait m’apprendre. J’ai fait un autre voyage à Londres, cette fois pour faire des recherches dans les archives concernant les familles de militaires dont il a été question plus haut. Oui, St Catherine’s House les détenait. J’ai cherché les index de 1879, 1880, 1881, 1882. Rien. J’ai cherché dans les registres consulaires des naissances de sujets britanniques outre-mer. Rien. j’ai cherché dans les registres de naissance en mer. Rien. Désespérée je suis retournée vers ces gros volumes d’index où sont indiquées les naissances ordinaires en Angleterre et au Pays de Galles. Avais-je raté quelque chose ? A part deux occurrences qui faisaient état d’une « Cluterbuck, fille », je n’avais rien. Rien qui n’y ressemblait non plus et je ne pense pas que la fille du Major Thomas St. Quintin Clutterbuck aurait été enregistrée aussi modestement que « Cluterbuck, fille ».

Bien il est certain que Old Dorothy a vécu et est décédée, mais apparemment elle n’est jamais née ! J’ai appelé à l’aide un des assistants. Est-ce qu’il y avait d’autres registres militaires que ceux placés sur ces étagères. Il a appelé au saint des saints dans la maison et m’a mise en contact avec la personne qui s’en occupait. Le monsieur est allé voir puis est revenu au téléphone. Il était désolé mais il n’y avait rien de plus.

Puis je me suis souvenue de quelque chose que Ginny, la Demoiselle du coven de Janet et Stewart Farrar, avait dit lors d’une conversation lorsqu’elle était venue me voir récemment et je lui avais dit qu’il était possible que Dorothy soit née en Inde. Elle avait dit quelque chose au sujet d’une amie à elle qui cherchait son certificat de naissance et « les autorités Indiennes l’avaient bien aidée ». Est-ce que les autorités Indiennes pourraient m’aider pour une naissance qui a eu lieu à l’époque où l’Inde était encore « l’Empire britannique des Indes ».

J’ai suggéré cela au monsieur au téléphone. Il semblait perplexe mais j’ai insisté. C’est tout ce qui me restait, sauf si Dorothy était née en Ecosse, auquel cas les registres seraient à Edimbourg. Oui, je pouvais contacter les autorités Indiennes. Où pourrais-je les trouver ? A la India House. Est-ce que c’est loin ? Oh non, juste à côté.

La India House est un bâtiment splendide avec de magnifiques peintures décrivant des scènes de la vie Hindoue sur les murs. Deux charmantes femmes en saris m’ont proposé leur aide et m’ont dirigée vers la Bibliothèque du Bureau Indien de la Blackfriars Road. J’ai trouvé un taxi et j’y suis allée. J’avais le sentiment d’être cette fois sur la bonne piste.

L’agent de sécurité dans l’entrée m’a donné un passe et m’a dirigée vers la bibliothèque elle-même, à l’étage. Le bibliothécaire m’a expliqué qu’à l’époque qui m’intéressait c’était aux parents d’enregistrer la naissance de leurs enfants et qu’il n’y avait pas de certificat de naissance. Mais ils avaient les registres ecclésiastiques des mariages et baptêmes célébrés par les prêtres chrétiens en Inde. Les certificats de baptêmes indiquaient aussi généralement la date de naissance. Il allait me trouver l’index des baptêmes au Bengale pour les années qui m’intéressaient.

Presque dès que j’ai ouvert le livre j’ai vu le nom « Clutterbuck, Dorothy ». J’ai rempli le formulaire pour obtenir le livre contenant le véritable registre ecclésiastique. Il s’agissait du plus gros livre que je n’aie jamais eu entre les mains et toutes ses entrées étaient rédigées d’une magnifique écriture cursive. Dorothy Clutterbuck est née le 19 janvier 1880 et fut baptisée à la St Paul’s Church à Umbala le 21 février 1880. Ses parents étaient Thomas St Q. Clutterbuck, capitaine dans le 14ème Sikhs et Ellen Anne Clutterbuck. Je l’avais trouvée.

Je me suis adossée et j’ai regardé autour de moi, la bibliothèque avec ses stores vénitiens qui protégeaient les livres et les lecteurs de la lumière du soleil. Il m’était difficile de croire que j’avais finalement trouvé. Je regrettais que le document ne donne pas le nom de jeune fille de la mère de Dorothy, mais j’avais trouvé.

Je suis retournée au bureau du bibliothécaire pour demander comment en obtenir une copie. Oui, on m’a dit, c’est possible et il m’a envoyée payer les droits habituels. Un assistant a téléphoné à la personne chargée de ces copies puis m’a dit : « Je suis désolé mais il est occupé pour le moment. J’ai bien peur qu’il vous faille attendre environ vingt minutes ».

J’ai dit que j’allais attendre et je suis allée à la recherche de quelque part où m’asseoir. Il y avait plusieurs chaises pour les visiteurs à proximité mais elles étaient occupées. Je me suis donc promenée dans la bibliothèque à la recherche de quelque part où me reposer. J’avais eu une journée longue et fatigante. Je me suis trouvée devant des étagères remplies de volumes d’index intitulés « Mariages. Bengale ».

Et si les parents de Dorothy s’étaient mariés en Inde. Si je pouvais trouver la bonne entrée cela me donnerait le nom de jeune fille de sa mère. J’ai pris un des volumes. Immédiatement il s’est ouvert et j’ai vu le nom « Clutterbuck, Thomas St Q. ». J’admets que j’étais à la fois fatiguée et excitée, mais je jure que ce livre s’est ouvert tout seul.

Je suis retournée au bureau et j’ai demandé un autre très gros registre ecclésiastique. lorsqu’il est arrivé dans la salle de lecture j’y ai appris que Thomas St Quintin Clutterbuck s’était marié avec Ellen Anne Morgan à Lahore in 1877. Il avait 38 ans et son épouse 20.

D’une certaine façon je pouvais le visualiser. Le soleil brillant d’Inde. Un officier en grand uniforme. Sa jeune épouse dans une robe de mariage victorienne, toutes les fioritures et dentelles. La traditionnelle haie d’honneur d’épées formée par des frères d’armes en gants blancs et le couple qui marchait en dessous. Un chapelain souriant dans son vêtement blanc. Un carrosse tiré par des chevaux magnifiques. Du champagne mis au frais dans des seaux en argent. Des grands palmiers. Des poignées de piécettes distribuées aux indigènes. Etait-ce vraiment comme cela. Je ne sais pas mais alors que j’étais assise dans le silence de cette bibliothèque c’est l’image qui m’est apparue.

Je suis revenue à la réalité et j’en ai aussi demandé une copie. Cela m’intéressait car Ellen Morgan était un nom gallois. Il semblerait donc que les ancêtres maternels de Old Dorothy étaient gallois, ce sang celte qui coule dans nos veines qui date d’avant les Anglo-Saxons et qui est souvent porteur d’un héritage psychique.

Ayant commandé les copies des certificats, je suis retournée chez moi pour attendre leur arrivée. Je pensais que ça allait prendre quelques jours et ce fut le cas. Ils sont arrivés le jour le plus approprié. Je les ai trouvés dans ma boite aux lettres le matin du 30 avril 1982 – le Sabbat de Beltane. Pour le moment ma quête était achevée.

 

Retour
 

 

Dans la joie nous nous sommes réunis, dans la joie nous nous séparons et dans la joie nous nous retrouverons!