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Une rencontre avec Gerald
Gardner
par Linda
Raedisch version française Tof
Lorsque j’ai commencé à travailler
sur « Night of the Witches » une amie qui doit avoir dans les quatre-vingt ans
(nous l’appellerons « P ») a demandé ce dont j’allais parler dans ce livre. Je
lui ai dit la même chose qu’à tous ceux qui m’avait posé la question : de la
Nuit de Walpurgis, c’est un livre sur les sorcières. La plupart de vos
interlocuteurs vous trouvent étrange lorsque vous prononcez le mot « Walpurgis
», mais je pensais que cette amie là ne le prendrait pas mal, et j’avais raison.
Non seulement P. avait entendu parler de la Nuit de Walpurgis, mais elle avait
été dans la région de la montagne du Harz en Allemagne – le phare de la Nuit de
Walpurgis - lors d’un voyage scolaire peu avant le déclenchement de la Seconde
Guerre mondiale. Elle avait trouvé le lieu angoissant pour des raisons qui
n’avaient rien à voir avec les sorcières. Elle voulait savoir si j’allais parler
de sorcières. Oui, beaucoup, l’ai-je assurée. Elle a ensuite dit : « J’ai une
fois pris le thé avec une sorcière. »
Je pense que je n’aurais pas été plus surprise si elle m’avait dit qu’elle avait
dansé avec le Prince de Galles. En dehors d’Harry Potter, nous n’avions jamais
parlé de sorcières.
« C’était un homme très agréable, » a continué P. « Il était très, très vieux et
il avait les cheveux blancs, beaucoup de cheveux. J’ai pris le thé avec lui dans
sa maison, qui était elle aussi très vieille et très sombre. »
« Où ? » Je savais qu’elle avait vécu au Tennessee, je présumais que la
rencontre avait eu lieu dans un coin perdu au milieu d’une forêt. Mais P m’a
surprise une fois encore.
« En Angleterre » m’a-t-elle répondue. « C’était sur l’Ile de Man. »
Une minute, n’avais-je pas lu quelque chose sur quelqu’un comme ça dans « The
Encyclopedia of Witches and Witchcraft » de Rosemary Ellen Guiley ?
« Quel était son nom ? »
« Oh, je ne me souviens pas, » a avoué P. « C’était il y a longtemps. Il avait
écrit un livre que j’avais trouvé vraiment intéressant à l’époque. Je devais
aller en Angleterre cet été là, alors je lui ai écrit une lettre et il m’a
répondu et invitée à lui rendre visite. Il avait un musée... »
Oh c’en était beaucoup trop ! J’ai cherché en vitesse dans l’Encyclopédie de
Rosemary Guiley jusqu’à ce que je le trouve. Il avait l’air très, très vieux
avec les cheveux blancs, beaucoup de cheveux.
« Oui, c’est lui! » a dit P. en souriant comme si je lui avais montré la photo
d’un ami perdu de vue depuis longtemps. Je crains de la décrire comme quelqu’un
d’un peu sénile ce qu’elle n’est manifestement pas. Mais il y a quelques sujets
qui font ressortir en elle son côté enfant. L’Angleterre en est un et la
sorcellerie, comme je l’ai découvert, un autre.
« Mais c’est Gerald Gardner! » Je lui ai dit.
« Ah oui ? Je ne me souviens pas de son nom. »
« P., tu as pris le thé avec le Père de la Sorcellerie Contemporaine! »
« Eh bien, il était très sympathique. »
Heureusement, P avait toujours sa première édition américaine de « Witchcraft
Today », le livre de Gardner. Lorsque nous nous sommes revues, elle avait le
livre avec elle ainsi que les deux lettres que Gardner lui avait envoyées, une
coupure de presse jaunie et un petit livre que Gardner lui avait signé
« L’Histoire de Célèbre Moulin des Sorcières de Casteltown, Ile de Man ».
Je dois admettre que je n’ai pas passé beaucoup de temps sur ces petits trésors.
J’ai jeté un rapide coup d’œil aux lettres, grimaçant à cause de leur
orthographe (qu’on pourrait qualifier d’excentrique) et feuilleté le livret en
me demandant comment on pouvait avoir eu l’idée de mettre une gigantesque
amanite tue-mouche en plâtre à côté du Vieux Puit à Souhaits. J’ai aussi
parcouru « Witchcraft Today », juste assez pour réaliser qu’il n’apporterait
rien à mes recherches. Mon livre parlera des sorcières du folklore et des contes
de fées, un peu comme la vieille dame au chapeau pointu à cheval sur un balai
sur la girouette du Moulin des Sorcières et non pas des Sorcières
« d’aujourd’hui ».
En fait, j’avais décidé de faire un effort conscient pour éviter, pour le
moment, les écrits de Sorcières Contemporaines car je ne voulais pas qu’elles
perturbent ma propre vision de ce qu’était une sorcière. Je voulais écrire
quelque chose de nouveau, pour les Wiccans comme pour les non-Wiccans, en
m’inspirant d’anciens écrits. Je voulais exprimer ce que je pensais, moi qui
suis totalement extérieure à la Wicca. En tout cas c’est ce que je pensais.
Je viens d’une longue lignée de rationalistes, mais comme il s’agissait de
rationalistes issus de la classe ouvrière, ils n’avaient jamais pensé à se
qualifier de la sorte. J’ai réagi à mon éducation où l’on n’allait pas à
l’église en ayant envie des signes extérieurs de religion : les bougies,
l’encens, le pain traditionnel juif, les coutumes. Enfant, je pensais devenir
religieuse (surtout parce que je voulais un chapeau comme celui de l’héroïne de
la série télé la Nonne Volante), mais cette idée n’a pas survécu à ma puberté.
Lorsqu’au collège mon professeur de français, dont j’écoutais avec attention
chaque parole, a critiqué le département des sciences humaines qui ne nous
parlait que des grandes religions, mes oreilles se sont dressées. Pourquoi,
a-t-il déploré, ne pouvait-on pas nous parler d’animisme? L’animisme ? Qu’est-ce
que cela pouvait bien être que ça ?
J’ai renoncé à m’intéresser aux Grandes Religions. J’ai appris qu’il y avait des
gens dans le monde qui croyaient que les roches, les collines et les lampes
avaient une âme. Imaginez mon excitation quand j’ai découvert que mes ancêtres
avaient autrefois, eux aussi, été animistes.
Je suis finalement devenue païenne, dans le sens dont ma tante a récemment
utilisé le mot quand je lui demandai si mon cousin et sa femme avaient fait
baptiser leur fils dans l’église où j’avais assisté à leur mariage. « Non, il
est un païen, » a-t-elle répondu gaiement.
Ce qui est bien quand on est païen, c’est qu’on peut très bien faire, lire,
écrire ce que l’on veut. Ainsi, après avoir terminé l’écriture de « Night of the
Witches », j’ai décidé d’oublier ma résolution précédente et de m’intéresser de
prèt à la Sorcellerie Contemporaine. Il était logique que les sorcières puissent
avoir envie de lire des livres sur les sorcières et je voulais me renseigner sur
mes lecteurs potentiels. J’ai donc lu le livre de Ronald Hutton « The Triumph of
the Moon: A History of Modern Pagan Witchcraft » ainsi que « A History of
Witchcraft: Sorcerers, Heretics and Pagans » de Jeffrey B. Russell et Brooks
Alexander, ainsi que ce je n’avais pas encore lu dans l’Encyclopédie de Rosemary
Ellen Guiley dont il a était question plus haut.
En lisant j’ai progressivement réalisé que même si j’avais décidé de ne pas lire
« Witchcraft Today » de Gerald Gardner, il avait pourtant guidé ma main. Je ne
parle pas d’une intervention fantomatique; ce que je veux dire, c’est que bien
que la culture dominante continue de mépriser la Wicca, elle a néanmoins absorbé
une grande partie de sa mythologie. J’avais pris pour acquis que les concepts de
coven et sabbat, de Dieu Cornu et de Triple Déesse étaient généralisés et ils le
sont. Mais ce n’était pas le cas avant l’arrivée de Gardner. Il n’est pas
l’inventeur de ces concepts, nous ne devons pas oublier Margaret Murray et
Robert Graves, mais il en a fait quelque chose que la culture occidentale a
finalement trouvé très attrayante tout en s’y opposant.
C’est Margaret Murray elle-même qui a écrit la préface de l’édition de 1954 de
« Witchcraft Today ». A cette époque, son propre livre, « The Witch Cult in
Western Europe » (1921), était épuisé depuis longtemps. C’est Gardner
l’énergique et amoureux de la presse qui a posé les fondations de la Sorcellerie
Contemporaine. Il l’a si bien fait que moi qui ne suis pas sorcière j’ai
inconsciemment intériorisé ses principes qui nous semblent bien antiques.
Je voulais maintenant remettre cette rencontre dans son contexte. Je voulais
revoir les lettres de P. Elle avaient été écrites lors de l’été 1961, trois ans
avant la mort de Gardner et l’année où Gardner avait lui-même été rendre visite
à Robert Graves à Majorque. Gardner était plutôt frêle à cette époque, c’est
l’impression qu’il donne sur les photos du livret sur le Moulin des Sorcières.
Fragile ou pas, il faisait toujours ses tours habituels. Dans sa première lettre
à P datée du 30 Novembre 1960 selon le cachet de la poste il dit : «. . . la
Sorcellerie étant dans ma famille, j’ai réussi à les persuader de me laisser
écrire un peu à ce sujet, de l’intérieur. » Dans Witchcraft Today, il disait
être un anthropologue et non pas une sorcière héréditaire. Avait-il oublié son
histoire ou tout simplement décidé de la changer ?
Il y a aussi de l’humour dans sa lettre. En parlant du « Grand Festival
d’Halloween » à St. Albans, il dit : « Le rendez-vous secret est si secret, que
si vous voulez vous y rendre, vous n’avez qu’à demander à un agent de police ».
En parlant de son musée, il dit à P : « Il est fermé en hiver, mais si vous
téléphonez au 2248 à Casteltown ils s’arrangeront toujours pour l’ouvrir et vous
le faire visiter. »
Dans la l’enveloppe de novembre il avait joint une coupure de presse parlant du
mariage de Pat Dawson et Arnold Crowther. « PAT A JETÉ UN SORT À ARNOLD. La
mariée était en noir lors du mariage des sorcières » a écrit Trevor Reynolds
dans le Daily Herald du 9 novembre 1960. Gardner a commenté : « Je joins une
extrait de presse, Il y avait un grand nombre de personnes au mariage et à la
réception qui a suivi, y compris un certain nombre de journalistes qui disaient
bien sûr que tout cela n’était que non-sens mais ils n’ont pas désapprouvé. »
Il est touchant de penser au Père de la Sorcellerie Contemporaine découpant des
articles de journaux et tapant avec diligence sur sa machine à écrire pour
répondre à sa lectrice américaine : « Demandez juste à un taxi de vous emmener à
Castletown, au Moulin des Sorcières et tout ira bien, » a-t-il conseillé à
P. « Si je ne suis pas au Moulin ils enverront quelqu’un me chercher et je serai
là en quelques minutes. »
P. a-t-elle été initiée dans le coven de Gardner ? Non, même si elle admet que,
à cette époque, elle aurait bien aimé. Peut-être que cela ne devait tout
simplement pas arriver. Elle devait avoir dans les trente-cinq ans à l’époque de
cette rencontre, quelque années de moins que moi actuellement. Si j’avais été en
vie et que j’avais écrit il y a cinquante ans, j’aurais peut être moi aussi
téléphoné au 2248 à Casteltown et me serais arrangée pour prendre le thé avec le
«Dr.» Gardner, comme il se faisait appeler. J’aurais aussi apporté un exemplaire
de « Witchcraft Today » et je lui aurais demandé de le signer, comme P. l’avait
envisagé à l’époque. Puis, d’un geste, je lui aurais présenté un exemplaire de
mon propre livre, peut-être en suggérant qu’il le mette dans la Boutique
Souvenirs de son Musée.
Peut-être pas en fait. Il est vrai qu’en 1961, la Sorcellerie Gardnerienne
s’était bien développée, mais probablement pas encore assez pour avoir
profondément influencé un écrivain américain comme moi. Si j’avais écrit « Night
of the Witches » il y a cinquante ans, il est probable que ça aurait été un
livre totalement différent. Il est très probable d’ailleurs que je n’aurais même
pas pensé à l’écrire.
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