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Avec l’Aide de la
Haute Magie
Chapitre VII – Ils arrivent à Londres
par Gerald Gardner
version française
Tof
&
Xavier
Le souper était presque prêt lorsqu’ils ont pénétré dans une auberge située
dans un gros village. Les serveurs et les serveuses étaient en train de
prendre des tréteaux et des planches placés contre les murs de la salle et en
faisaient une longue table au milieu de la pièce. Des ragoûts, des rôtis et
des pains cuisaient sur une plaque en fer placée sur des braises dégageant une
odeur de noisette, une odeur caractéristique du pain cuit de la sorte. Il y
avait aussi de la bière ... riche, brune et forte, un repas à elle toute
seule.
De la vaisselle en étain, des plats, des coupes et des bols ... tous étaient
rustiques, mais il y avait beaucoup à manger et à boire, et la nourriture
avait été bien cuite et était des plus appétissantes. Au milieu de la longue
table il y avait un gros tas de sel et les convives mangeaient avec leurs
doigts après avoir coupé les viandes avec leurs dagues.
L’animation du service a fait cesser les conversations et la plupart des
convives se sont rangés le long des murs pour permettre aux serveurs de se
mouvoir facilement. Thur et Morven se tenaient juste derrière la porte. En
traversant la salle Olaf était une fois de plus impressionné par les
changements survenus en Morven. Elle était toujours d’une extrême minceur,
mais sa peau avait perdu son apparence boueuse et tout en étant encore
incolore, elle était de plus en plus claire et transparente. Sa bouche n’était
plus marquée par la douleur, mais semblait calme et patiente, bien dessinée et
généreuse, mais elle était toujours pâle comme un linge. Il a à nouveau
constaté comme son visage était bien dessiné mais peut-être que le plus grand
changement se trouvait dans ses yeux. Avant ils avaient l’air si faibles,
enfoncés, hantés par la terreur qu’ils étaient comme ceux d’une personne en
train de mourir sous la torture. Maintenant, ils semblaient être plus profond
chaque jour et briller, radieux sous la courbe de ses belles paupières.
Olaf s’émerveillait devant de la couleur de ses cheveux, aucun d’eux trois
n’en avait vu de semblables auparavant, c’est pour cela qu’elle gardait
toujours son capuchon sur ses cheveux, mais ses sourcils avaient une teinte
délicate brun rouge, de même ses cils, très sombres à la base, palissaient peu
à peu en montant et étaient couleur rouge or à leur extrémité. Olaf les
trouvait vraiment remarquables, un cadre approprié pour l’ambre brun de ses
yeux. Morven ressemblait à quelqu’un qui avait été confronté de très près à la
mort, qui en avait échappé et qui récupérait peu à peu. Elle aurait pu passer
pour une jeune fille délicate, sa croissance semblait s’être arrêtée, il y
avait en elle une étrange asexualité et donnait l’impression d’être ailleurs
mais ce n’était pas de la pureté mais plutôt une absence de ce qu’il faut pour
être soit bonne soit mauvaise.
En réalité, il s’agissait d’une immense lassitude liée à une expérience que
son corps et son esprit étaient incapables d’assimiler. Olaf était trop jeune
pour comprendre tout cela, mais il le sentait vaguement. Tout ce qu’il pouvait
comprendre c’était l’effet qu’avaient eu pour Morven la persécution et
l’isolation qui découlaient de cette obsession de l’Eglise pour la
sorcellerie. Il ne le savait pas, mais il avait gagné une grande intrépidité
spirituelle lors de son expérience dans le cercle magique de Thur. En quelques
minutes il avait acquis un grand courage spirituel et intellectuel et avec lui
une liberté de pensée contre laquelle l’Eglise combattait avec toute sa
puissance. C’est cette liberté d’esprit que l’Eglise considère comme son
ennemi le plus dangereux et ces quatre personnes avaient une très grande
liberté de pensée. Olaf l’a acquis lors d’un flash de compréhension, bien trop
tôt pour quelqu’un de son âge. Morven l’avait par héritage, par son éducation
et suite aux persécutions. Thur l’avait grâce à ses capacités mentales, ce
qu’il avait appris et développé. Jan en disposait mais de façon modérée par sa
révolte contre ce qu’il considérait comme une injustice personnelle, par sa
morosité et son entêtement ... et par ressentiment pour tout dire, et Olaf, à
travers l’épreuve qu’il avait vécu.
Lors de la dernière semaine, il était passé de l’état d’enfant à celui d’homme
qui réfléchi, il avait été brutalement chassé de l’enfance par sa sympathie
pour une autre personne. Il était hanté par la nécessité de protéger et
secourir Morven, ou du moins, d’y prendre totalement part. Il n’y était poussé
que par sa compassion, car lorsqu’il l’a vue pour la première fois, elle avait
paru aussi repoussante qu’abandonnée. Qu’elle devienne chaque jour plus
attrayante était plutôt la récompense de la vertu que la cause de cette vertu.
Certes, lorsqu’elle lui souriait maintenant, il ne faisait plus aucun lien
entre elle et la Sorcière crasseuse de Wanda.
Ils avaient prévu de rester entre eux et de se retirer immédiatement après
avoir soupé, car ils voulaient partir de bonne heure le lendemain matin et ils
ne voulaient pas se faire remarquer. Ils ont donc soupé et passé les heures
qui ont suivi sans discuter avec les autres clients. Le lendemain ils se sont
réveillés avec le soleil et sont partit, il faisait beau. Cela les rendait
heureux, surtout qu’il semblait bien qu’ils n’étaient pas poursuivis. Ils
étaient près à affronter leur avenir dans une brume rosâtre. Il y avait de
nombreux villages éparpillés autour de Londres et la campagne était belle, à
la fois vaste et variée, ainsi la capitale semblait être plantée au milieu
d’un grand jardin.
Des hauteurs de Hampstead, ils ont regardé la vallée fertile et les splendeurs
de la grande cathédrale, qui se révélaient à eux dans l’air cristallin de la
belle journée, sa surface brillait ici et là lorsque le soleil frappait la
pierre qui venait d’être taillée. Ils la regardèrent plein d’admiration et
d’émerveillement que l’homme puisse concevoir et bâtir un tel édifice, car
l’ampleur de sa conception et la beauté de ce que les artisans avaient
réalisés n’avait d’égal nulle part ailleurs. De là où ils étaient, adouci par
la distance et l’atmosphère particulière anglaise, la cathédrale avait une
teinte nacrée. Elle semblait être un amoncellement de pierres sculptées et
empilées. Si solide... et pourtant elle semblait s’envoler dans le bleu
intense du ciel et semblait être ainsi le trône de Dieu lui-même.
« C’est une merveille ! » a dit Morven en brisant le silence dans lequel ils
s’étaient plongés en admirant le spectacle. « C’est vraiment le symbole de
Dieu. Pourquoi est-ce que l’Eglise ne peut pas être aussi sainte et gracieuse
dans ses actes envers les hommes qu’elle se manifeste dans ce grand temple ?
- Ce n’est pas l’Eglise ! » a ironisé l’aîné des frères Bonder avec un mépris
suprême. « C’est le maître-maçon et les hommes qui l’ont construit sous ses
ordres.
- Non, il y a plus que cela. C’est le regard avec lequel nous la voyons et la
grandeur de la vision dans l’esprit du maître-maçon avant même qu’il ne
commence la construire. »
Jan le regardait sans comprendre, alors que Thur souriait de satisfaction et
que Morven approuvait de la tête. Même à cette distance, la ville ressemblait
un mélange de couleurs légèrement floues au milieu de la verdure. Ils ont pu
voir le soleil briller sur la surface de nombreux petits cours d’eau qui
coulaient dans les prairies et de nombreux petits moulins qui tournaient,
alors que des bosquets brisaient ici et là la ligne d’horizon avec leurs
ombres douces. La vue était belle et réconfortante.
A l’auberge où ils ont dîné l’ambiance était bonne et de nombreuses personnes
s’adonnaient aux commérages. Il semble que les londoniens avaient l’habitude
de se promener dans les prairies autour de leur ville et de se détendre dans
les auberges. Dans leur propre régions autour de St Clare in Walden, les gens
étaient taciturnes et austères et ne souriaient que rarement, mais ici les
gens étaient joyeux et une blague osée les faisait rire, ils chantaient
facilement de nombreuses ballades. Certains étaient gais, d’autres tristes,
mais ils chantaient tous avec les autres ce qui surprenaient Jan et Olaf.
Leurs vêtements de paysans étaient très colorés (surtout ceux des femmes) et
leur discours ne l’était pas moins. Chaque village semblait avoir ses propres
joueurs de cornemuse et son groupe de danseurs et seules les vieilles femmes
semblaient se contenter de rester assises à tricoter du côté ensoleillé de
leur maison.
Mais dans les villages il n’y avait partout un air de contentement car les
conditions de vie y étaient ici aussi pitoyables et misérables, comme dans la
plupart des régions d’Angleterre, mais ils avaient une gaieté générale et une
propension à profiter des bons côtés de la vie, à rire pour oublier ses
problèmes et être gai lorsque le soleil brillait. En effet, il y avait partout
une joie quasi païenne sous ce soleil qui brille et réjouit toute la terre.
L’hiver était vraiment passé et on commençait à entendre le chant des
tourterelles dans tout le pays.
Après le dîner, ils sont passés par Finchley, St Pancras et Bloomsbury où ils
ont rencontrés de vastes prairies parsemées de toutes sortes de primevères le
long de petits ruisseaux ainsi que les moulins qu’ils avaient surplombés
lorsqu’ils étaient dans les bois de Caen. Les haies étaient parsemées
d’aubépine et les lourds parfums se mélangeaient au murmure de l’eau qui
coulait, au clapotis des roues des moulins, le soleil brillait dans un ciel
sans nuages et la terre entière semblait être atteinte par la lumière, les
sons et les odeurs. Pas étonnant que les gens se promènent dans ces prairies
se disait Olaf qui semblait découvrir la vie. Puis ils sont arrivés en un lieu
où des fleurs à l’odeur d’amandes laissaient la place à une rangée d’ormes,
ils avaient une meilleure vue sur la ville et côtoyaient certains des
habitants de cette ville.
Un très beau seigneur avec sa dame, leurs serviteurs et tout une belle
compagnie chassaient au faucon. La dame portait son faucon, capuchonné et tenu
à la longe, à son poignet. Un oiseau était dans les airs, à la poursuite d’un
héron qui avait pris son essor du bord du ruisseau. Le fauconnier était là, un
cadre sur lequel étaient perchés quatre autres faucons, également capuchonné,
était suspendu à son cou. La dame était jeune, son seigneur bien moins, mais
c’était un vrai dandy qui s’efforçait de vivre avec sa femme dans la
truculence et la jeunesse qu’arboraient ses vêtements. Sa tunique vert clair
était chargée de broderies rouges et or tout comme son manteau, alors que ses
braies, coupées très court s’arrêtaient au niveau des genoux comme une jupe,
elles étaient faites du même tissu à damier que la doublure de son manteau. Il
portait des chaussures brunes en cuir souple et des guêtres également brodées
de rouge et d’or. Il portait un bonnet phrygien, assorti à ses chaussures, se
terminant par un pompon. C’était un personnage imposant et remarquable, avec
ses vêtements beaux et gais, sa barbe frisotée et ses cheveux bouclés au
dessus des oreilles. Les visiteurs venant des campagnes le regardaient avec
une certaine admiration car ils ne connaissaient que les vêtements sobres et
pratiques mais il ne faisait pas semblant de ne pas les voir ni même d’être
offensé par leurs regards.
La dame était d’une grande beauté, un fait qu’elle n’oubliait pas une seconde.
Ses cheveux étaient aussi sombres que la nuit, elle avait une peau de pêche et
de très grands yeux, insondables comme une mare en hiver. Ses cheveux étaient
d’une beauté comme on en voit rarement, tressés et enroulés lourdement sur ses
oreilles, sans les cacher mais en les mettant en valeur. Un fin filet d’argent
constellé de joyaux pâles enserrait ses cheveux et un bijou en argent ornait
son front.
Sa robe était coupée dans un tissu jaune et brillant parsemé de pois en
argent, ses plis volumineux étaient resserrés autour de sa taille par une
ceinture en pierreries. Elle avait un grand décolleté et un manteau gris et
argent avec une doublure en belle fourrure blanche.
Jan regardait subrepticement cette charmante vision avec un étonnement total.
Jamais il n’avait imaginé une chose pareille. Le visage ingénu de Morven
montrait qu’elle aussi elle avait vu la dame. Pas un détail de cette vision
fascinante n’échappait à son examen critique. Mais le tableau n’était pas
complet sans leur page et ce fut lui que les yeux d’Olaf fixaient. C’était un
jeune homme de dix-huit ans, grand et vêtu de la tête aux pieds de vêtements
pourpres brodés d’or. Il portait un bonnet pointu et ses cheveux blonds
tombaient en boucles sur ses épaules. Il marchait prudemment dans ses souliers
pointus comme si l’herbe fleurie était un outrage pour ses semelles. Il
parlait d’un discours hésitant, comme si les mots qui viennent d’eux-mêmes
n’étaient pas assez bien pour sa langue. Bref, il était insupportable. Son
seigneur le traitait avec un mépris affectueux mêlé de bonne humeur, comme
s’il était trop jeune pour être pris au sérieux, mais sa maîtresse n’avait
d’yeux que pour lui et chaque fois que l’occasion se présentait (c’est-à-dire
souvent, son seigneur étant très occupé par les faucons) ils échangeaient des
paroles à voix basse et échangeaient des regards amoureux.
« Par tous les saints ! Avez-vous déjà vu une telle beauté ? » a demandé Jan à
Morven qui lui a répondu : « Oui, souvent. Elle est juive ? Vous ne pensez pas
?
- Elle n’a pas le teint d’une juive mais elle a un teint merveilleux que je
n’avais jamais vu dans tous mes voyages. »
Ils ne le savaient pas, mais la dame était en réalité irlandaise et était
couleur safran, et étant bien mariée, elle semblait sur le point de mettre en
pratique le proverbe de son pays qui dit : ‘Personne ne passe à côté d’une
tranche de pain coupée.’
- Si j’étais son seigneur, je garderais un œil sur le page » a ajouté Thur.
« Non, je n’aime pas tous ces étalements de mauvais goût chez un homme. Si
c’était mon page je lui sonnerais les cloches et lui apprendrais à ne pas
flirter avec ma dame.
- Moi aussi » a dit Olaf car il l’enviait et espérait lui aussi avoir bientôt
une telle vie, mais avec une différence. Il ne pouvait s’imaginer coiffé de la
sorte ou avoir de telles manières.
« Je parle de la dame » leur a dit Jan avec tant d’ardeur que Thur éclata de
rire.
« Oh, elle ! » s’exclamée Morven de façon provocante.
« N’est-ce pas une merveille ?
« Une merveille de malheur, la coquine basanée ! Si j’étais son seigneur je la
coucherai sur mes genoux pour lui apprendre où regarder et ma main lui
montrerait le chemin. »
Thur éclata de rire en y pensant et Jan fut offensé de la crudité de ses
paroles. Ils ont continué leur chemin, entendant toujours le cri du
fauconnier, les yeux fixés sur deux taches lointaines haut dans le bleu, l’une
semblant rattraper rapidement l’autre. « Pauvre oiseau » soupira Morven « je
ne sais de qui j’ai le plus pitié, du héron ou du seigneur. »
Alors qu’ils s’approchaient de la ville ils rencontraient toujours plus de
personnes qui se promenaient sous le soleil de printemps et arboraient leurs
beaux habits neufs, achetés pour Pâques. Bien que leurs vêtements aient à peu
près tous les mêmes coupes, ils ont noté la diversité, la richesse et la
couleur des matières utilisées ainsi que la beauté de la conception des
broderies et des bijoux. Les citoyens de Londres étaient indubitablement très
riches et aimaient le montrer. Chaque apprenti et serveuse folâtrait et
s’amusait sur les larges bords gazonnés de la route, arborant de beaux rubans
ou un macaron brodé d’une guilde ou de maîtrise.
« Lorsqu’on sera chez nous cela nous semblera bien triste après avoir vu ça »
déplora Jan en traversant Holborn. « J’aimerais être déjà à la maison. »
« Faisons demi-tour alors » s’écria Thur et Jan l’a rejoint dans son rire,
mais il se consolait dans sa grande détermination à reconquérir tout ce que
son grand-père avait perdu. Lui aussi aura ce qu’il y a de meilleur... un
jour, et, pour la première fois dans sa vie Olaf lui aussi réalisait tout ce
qu’ils avaient perdu et que jusque-là il considérait, secrètement, sans
importance. Son amour pour toutes les choses de la nature, sa vie, sa beauté
et sa variété, avaient été pour lui une compensation pour l’inconfort et les
privations de leur vie, qui sans trop y réfléchir, lui avait semblé être le
lot de tous et donc inévitable. Maintenant, il avait vu une autre facette de
la vie caractérisant cette ville riche et gaie. Il avait imaginé Londres, mais
pour lui ce n’était qu’une ville comme la leur, St Clare, en plus grand...
mais que les deux villes étaient différentes! St Clare in Walden était d’abord
dominée par l’Eglise, représentée par la grande abbaye située à vingt cinq
kilomètres, et ses annexes, l’Abbaye de Chipley et le prieuré de religieuses à
l’extérieur de la ville. St Clare était aussi sous l’emprise d’Esquire Walter
Upmere, l’homme de main de Fitz-Urse. A cause des exactions combinées de
l’Eglise et de leur seigneur, St Clare a été totalement pillée et affaiblie.
Le seigneur abbé était un jouisseur instruit, ne cherchant que son aisance et
son plaisir. Esquire Walter n’était lui-même qu’un rustre, bourru, illettré et
indiscipliné, à moitié fermier et à moitié soldat, mais totalement voleur, il
régnait sur la ville avec une main de fer dans un gant de triple airain. Son
apparence était toute simple et il n’était pas aussi bien vêtu que Thur.
C’est pourquoi les frères Bonder étaient tous les deux très étonnés de
constater que leur petit monde n’était qu’un grain de sable dans un sablier,
comme la cinquantaine d’autres villes équivalentes dispersées à la surface de
l’Angleterre. Dans cette grande ville, habitait le roi avec sa cour et la vie
était bien au-delà de ce que pouvaient imaginer les gens vivant à St Clare.
Olaf pensait que le monde où il était né était en effet bien étroit et qu’ici
l’espace était bien plus vaste.
Ils sont entrés dans Londres par la Nouvelle Porte et Olaf ne voyait que
gaieté et indépendance chez ceux qui étaient dans cette ville. Ils semblaient
ne pas s’intéresser aux autres, ne rien craindre, comme s’ils avaient tous
droit à ce que les plus grandes richesses pouvaient offrir.
Quand monseigneur l’abbé venait à St Clare, les bourgeois s’alignaient et
attendaient son passage la tête baissée devant ses trois doigts levés. Si
Esquire Walter venait, il avait la rue pour lui tout seul, les bourgeois
semblaient sentir son odeur dès qu’il décidait de quitter son château et ils
ne revenaient que lorsqu’il rentrait chez lui. Seuls les frères et les soldats
riaient publiquement et chantaient des chansons à St Clare. Ici pourtant il y
avait de nombreuses personnes le long d'une rue étroite, certains étaient à la
recherche d’une auberge. Face à eux arrivait une dame dans sa litière,
escortée par son mari et sa suite de six serviteurs qui marchaient devant et
derrière, tous vêtus de vêtements riches et gais qui semblait si courant ici.
Mais les gens n’étaient pas debout humblement à céder le passage à ceux qui
leur étaient supérieurs, et les serviteurs devaient se frayer un chemin à
travers la foule, ce qu’ils faisaient avec bonne humeur. Ce n’était que quand
la litière et la dame étaient aperçues par hasard que les gens se poussaient
de côté en faisant des commentaires sur la beauté de la passagère, qui
souriait et les remerciait poliment pour leur courtoisie.
Ils restèrent bouche bée face à deux Chevaliers du Temple. « J’ai beaucoup
entendu parler d’eux » a dit Jan. « Ils crachent sur la Croix et adorent une
statue, mais ils se battent toujours bravement pour la Croix, au-delà des
mers. Quelle est la vérité selon vous Thur ?
- Il y a de nombreux histoires » répondit-il. « On dit que l’Eglise ne les
aime pas car ils ne confessent pas aux prêtres, ils ne se confessent qu’entre
eux et sont flagellés pendant ce temps. On dit qu’ils sont initiés à minuit,
déshabillés, qu’ils reçoivent des baisers impies et qu’ils foulent la Croix.
On dit qu’ils ont une idole qui est à moitié homme et à moitié chèvre, appelée
Baphomet et qu’ils pratiquent la magie et qu’ils ne sont pas chastes.
- Mais ne racontent-on pas la même histoire sur la moitié des abbayes
d’Angleterre ? Nous savons qu’ils sont riches et puissants et donc haïs, mais
ils sont toujours les plus courageux à la guerre et j’ai aussi entendu dire
que le mot ‘Baphomet’ veut tout simplement dire ‘Le Père du Temple de la Paix
Universelle parmi les Hommes’ écrit à l’envers ‘Templi Omnium Hominim Pacis
Abbas’ pour le travestir, mais qui est ce Père du Temple, ça je ne peux pas le
dire. »
Ils n’étaient pas allés loin dans la rue principale quand ils ont entendu les
aboiements insistants des chiens accompagnés d’un tintement de clochettes
ainsi que le son aigu d’une cornemuse et la voix d’un chanteur paillard. Un
groupe de villageois s’était rassemblé et restait les bras croisés à regarder
un spectacle qui pour eux était aussi normal que la lumière du jour, et avait
pour principal intérêt de permettre les ragots.
« Est-ce une fête ? » a demandé Morven.
Thur a secoué la tête. Son « laissez passer mon ami » leur a permis d’avancer
facilement dans la foule et ils sont arrivés au niveau d’un petit groupe de
six personnes marchant péniblement sur les pavés en file indienne. Ils avaient
l’air mortifiés, les pieds endoloris et boitaient.
Leur chef totalement épuisé se cramponnait à son bâton. Sa barbe était longue
et emmêlée, et ses yeux étaient enfoncés dans son visage émacié. Il portait un
long cilice qui descendait jusqu’à ses mollets et qu’il portait à même la
peau. Une lourde chaîne de fer faisait le tour de sa taille et elle teintait
quand il se déplaçait. Il avait aussi un manteau de toile de jute accroché sur
son dos. Son corps était si maigre que tout cela ressemblait à des chiffons
sur un épouvantail. Il ne récitait pas le chapelet et ne faisait pas teinter
de cloche, car il avait besoin de ses deux mains pour tenir son bâton, sans
cela il serait tombé. Alors qu’il avançait en trainant, Morven a vu que ses
pieds saignaient sous la poussière qui les recouvrait. Ses mains maigres et
sèches étaient comme des coquilles de noix sale et ses ongles longs, noirs et
repliés vers l’intérieur étaient tels des serres. De temps en temps, il
murmurait d’un ton monocorde, ses lèvres étant trop sèches pour qu’il puisse
s’exprimer clairement : « St Alban soutient-moi. Bienheureux Jésus sois ma
force. Douce Marie, prends pitié de moi !
- Qui sont ces gens ? » a demandé Morven émerveillée.
« Des pèlerins, » lui a dit Thur alors que Jan reniflait bruyamment et qu’Olaf
murmurait, « Saints bienheureux, quelle affliction. » Thur s’est tourné sur sa
selle et leur a jeté un regard plein de réprimandes et a mis un doigt sur ses
lèvres de façon significative ce qui a fait rougir les deux frères. Le
spectacle était nouveau pour Morven qui n’avait jamais entendu parler de
telles pratiques. C’est pourquoi elle observait ce groupe de dévots avec une
attention toute particulière.
La femme qui marchait à côté du chef n’était pas du tout aussi mal en point
que lui. Certes, elle était vêtue de toiles de jute mais elle ne les portait
pas à même la peau, elle n’avait pas de chaîne autour de la taille, mais une
belle ceinture et ses pieds étaient chaussés de sandales qui ne contenaient
pas de pois secs, et elle marchait en chantant son chant avec vigueur. Les
quatre autres hommes du groupe étaient tout aussi joyeux, sales et échevelés,
sainement fatigués de leur journée de gueux, mais tous avaient l’air bien
nourri et prospère. Morven a appris de leur discours (qui était entièrement
laïque) que le lendemain ils iraient à St. Edmundsbury pour y visiter le
sanctuaire sacré. Apparemment, ils avaient passé ainsi l’été en vacances
perpétuelles, voyageant d’un lieu à un autre et d’un sanctuaire à un autre en
combinant piété et plaisirs d’une façon des plus louables. Encore une fois
Morven a souri en jetant un œil amusé à Thur, mais pour une fois, il s’est
montré indifférent, son attention professionnelle étant concentrée sur le chef
misérable de la troupe. Lui, avec le visage enfoncé sous son capuchon,
hésitait sur le chemin à suivre, ses yeux fanatiques regardaient fixement,
sans se soucier comme ses compagnons, la foule se rapprochant rapidement, et
ses oreilles restaient sourdes aux chansons licencieuses et à la musique de la
cornemuse.
Thur pensait que chaque pas serait son dernier et il doutait qu’il ait
vraiment été conscient de quoi que ce soit, du début à la fin du pèlerinage.
« En vérité, ce doit être un grand pécheur, pauvre âme » a commenté une femme
à côté de Morven avec une grande satisfaction.
A ce moment il est tombé, le bâton, les clochettes et la cloche ont fait un
grand bruit. Il était couché par terre, le visage collé aux pavés comme si
s’était son dernier refuge. Le cheval de Thur s’est cabré et a commencé à
s’exciter et faire du bruit, Thur a eu beaucoup de mal à le calmer.
Instantanément la femme s’est rapprochée de leur chef et a passé ses bras
autour de lui en cessant de chanter. La cornemuse s’est tue en une sorte de
gémissement lugubre. La foule regardait le spectacle et Thur a donné ses rênes
à Morven et est descendu de cheval.
« Non, Sir Thomas. Bon Sir Thomas ! » chantonnait la femme en s’efforçant de
le relever.
« Laisse-le couché par terre » a dit Thur « Allez lui chercher de l’eau. »
Une femme, qui regardait par sa porte ouverte, a disparu pour réapparaître
avec un bol d’eau.
« Merci à vous, Maîtresse » a dit Thur.
« Dieu vous le rendra » a soufflé la chanteuse, assise sur les pavés et
secouant sa tête tombée sur ses genoux.
« Il a vraiment besoin de repos » a dit Thur, humidifiant le front sale et les
lèvres avec son propre mouchoir qu’il avait plongé dans le bol. « Nous devons
lui chercher un abri.
- Non, ce ne sera pas possible avant que le pèlerinage ne soit terminé »
a-t-elle répondue, troublée.
« Est-ce que ses péchés sont si lourds sur ses épaules ? » a murmuré Thur en
humidifiant les lèvres avec de l’eau.
« Des péchés ? » a-t-elle dit avec horreur. « Il n’y a pas, en dehors de
paradis, de plus grand saint que le bon Sir Thomas. »
Thur a poursuivi sa tâche en silence et a réussi à verser un peu d’eau dans la
gorge de son patient. Quelques minutes se sont écoulées. Le silence est tombé
sur la foule qui avait déjà appris qu’un grand saint était en train de mourir,
de sorte que, quand il a bougé et qu’il a regardé Thur dans les yeux, le feu
de sa résolution intact, il y a eu un murmure de déception. Lorsque, avec
l’aide des deux personnes, il s’est levé et se tint debout entre eux, faible
mais intrépide, la foule a oublié son chagrin et a applaudi. Après tout, il
pourrait bien arriver au sanctuaire et de là-bas aller directement au paradis.
Qu’est-ce qui pourrait être mieux que cela ?
Instantanément le cornemuseux s’est remis à jouer joyeusement pour égayer les
affligés, et, remis sur pieds, Sir Thomas, accompagné de toute sa troupe, est
reparti en titubant. La femme s’est éclairci la voix, elle allait se remettre
à chanter quand elle a été stoppée par ce qu’elle a vu au loin.
D’une ruelle même pas six pas devant eux sont sortis des moines en procession
qui chantaient solennellement, le prêtre portait un crucifix dressé vers le
ciel. La femme attrapa le cornemuseux par la manche et lui a donné un coup
dans les côtes accompagné d’un regard d’alerte en direction de la ruelle. Il
les vit avec consternation et une sorte de hurlement étouffé est sorti de
l’instrument alors qu’il est passé avec dextérité à un chant lugubre qu’elle a
entonné avec enthousiasme. Qu’il s’agisse d’un chant différent n’a pas
vraiment modifié leur agitation. La foule est tombée à genoux, tout comme les
pèlerins. Le cornemuseux lui s’est accroupi. Le prêtre, qui avait remarqué la
manœuvre, regarda un instant la femme avec aigreur avant de tourner à gauche
vers l’abbaye. La petite troupe de pèlerins s’est relevé et a suivi la
procession, digne et la mine contrite, le cornemuseux a repris son
bourdonnement et les cinq pèlerins ont recommencé leurs chants et Sir Thomas
s’est remis à murmurer son incantation éternelle, « Saint-Alban soutiens moi.
Bienheureux Jésus sois ma force. Douce Marie prend pitié de moi ! »
Thur et les autres chevauchaient lentement derrière eux. A peine ce cortège
avait-il disparu qu’ils en ont vu un autre au loin. A l’avant il y avait des
prêtres portant une croix énorme, puis d’autres prêtres avec des bannières,
puis une procession de personnes, hommes, femmes et enfants, tous nus comme au
jour de leur naissance, marchant deux par deux. Tous avaient un martinet en
cuir à la main, et avec des larmes et des gémissements, ils se fouettaient le
dos jusqu’au sang toujours en pleurant et implorant le pardon de Dieu et de sa
Mère.
« Par Dieu, que sont ces gens ? » a demandé Jan
« C’est la secte des Flagellants » a répondu Thur. « J’ai entendu parler
d’eux, mais je n’en avais jamais vus. Ils ont commencé à Peruga, puis à Rome,
et se sont propagés dans toute l’Italie. Ils le font pour absoudre leurs
péchés et les péchés des autres. Enfin c’est ce qu’on dit.
- C’est un spectacle maléfique » a dit Morven. « Ils vont trop loin. Il est
vrai que dans le Culte des Sorcières on nous enseigne que l’eau purifie le
corps, mais l’escourge purifie l’âme, mais nous ne faisons pas couler le
sang. »
Olaf regardait tout cela en silence et y réfléchissait. C’était là un aspect
de la vie très éloigné de ses oiseaux et des beautés qu’on voyait en ce moment
dans les forêts sauvages, mais de façon étrange ces aspects semblaient se
compléter, un peu comme s’il voyait l’ensemble d’une sphère au lieu de ne voir
que l’une de ses parties.
Jan, lui en voyait autant qu’Olaf et Morven, car il était naturellement
perspicace et attentif, mais il avait l’obsession de réussir. Il a vu dans
tout cela quelque chose qui pouvait favoriser sa propre ambition et ce qu’il
espérait. La liberté, la vie facile, de beaux vêtements, tout ce à quoi il
avait droit de par sa naissance, des choses qu’il allait bientôt retrouver.
Quant à Morven, elle semblait ne faire que regarder. Elle avait été rejetée à
cause de la cruauté du corps le plus puissant du monde des hommes et s’ils
n’avaient pas réussi à briser sa volonté, ils ont fait de leur mieux pour
briser son corps. Seules sa jeunesse et son endurance naturelle avaient pu la
sauver. En se remettant complètement des mauvais traitements, elle commençait
à retrouver d’autres facultés, mais sa foi en l’humanité tout entière avait
été détruite. Elle pouvait faire confiance à d’autres personnes quand ils
avaient fait leurs preuves, comme l’avaient fait Thur, Olaf et Jan, mais elle
connaissait cette foule qui riait et était de bonne humeur autour d’elle, ces
petits seigneurs joyeux et leurs femmes. Au premier cri de ’Sorcière !’ ils se
tourneraient contre elle et la mettraient en pièce, et ils seraient tous à
rire gaiement lorsqu’on la brûlerait sur le bûcher.
Elle ne voulait pas y penser. Elle regardait les femmes et contemplait leurs
vêtements, surtout ceux des nobles, leur assurance, leurs manières, leur façon
de parler, leurs intonations et tous les détails de leur beaux costumes.
Mais elle était préoccupée par d’autres questions. Dans quel but ces trois là
l’avaient cherchée et sauvée ? Comment avaient-ils entendu parler d’elle ? Ces
questions sont restées sans réponse. Thur avait promis de tout lui dire quand
ils seraient en sécurité chez lui et cela lui convenait. Elle savait aussi
qu’il allait retarder leur retour aussi longtemps qu’il le pourrait.
Elle savait que Thur était médecin, elle se doutait que c’était quelqu’un
d’exceptionnellement intelligent et qu’il se préoccupait surtout de sa santé.
Avant qu’il ne puisse l’emmener dans sa future maison, il souhaitait qu’elle
ressemble à une jeune fille de dix-neuf ans ... ou autant que possible vu les
circonstances.
Ils ont passé cette nuit là à l’auberge du Sanglier Bleu.
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