Comment se fait il que la Sorcellerie contemporaine
soit connue sous le nom de Wicca alors que ce mot n’était jamais utilisé par
Gerald Gardner, le « Père de la Sorcellerie Contemporaine »? Dans cet article,
je vais examiner l’utilisation des mots Wica et Wicca tout au long des années
1950 et 60 afin d’essayer de faire la lumière sur la façon dont ce changement
orthographique a pu se produire. La réponse ne doit pas avoir grand rapport avec
la mauvaise orthographe de Gardner, ni même avec une quelconque raison
étymologique. Il est possible que cela soit plus lié à Charles Cardell, celui
qui fut responsable de la première publication du Livre des Ombres Gardnerien et
qui fut, à une époque, à la tête de la Coven d’Atho et leader des « Wiccens ».
Nous commencerons par une courte approche des
arguments étymologiques au sujet de l’origine et de la signification des mots
Wica et Wicca. Nous verrons ensuite, comment des gens comme Gardner, Charles
Cardell et d’autres utilisaient ces mots en nous basant sur des coupures de
presse et d’autres sources écrites. Je crois que l’histoire révèle que la petite
différence orthographique avait en réalité une signification politique
importante pour les Sorcières de cette époque.
La source étymologique la plus souvent citée comme
étant la racine de Wicca, est le terme anglo-saxon Wicce (féminin) et Wicca
(masculin) et Wiccan qui en serait la forme plurielle.
Gardner
semble aussi admettre l’origine
anglo-saxonne car dans son livre, « The Meaning of Witchcraft » il écrit:
Il est curieux que, lorsque
les sorcières sont devenues anglophones, elles ont adopté leur nom Saxon « Wica ».[1]
... [Le mot sorcière] dans sa forme originelle anglo-saxonne possède deux
formes, « wicca », (masculin), et « wicce », (féminin). [2]
Pourtant, malgré ces observations étymologiques sur le
mot saxon ayant deux « c », Gardner poursuit dans son choix d’écrire Wica, avec
un seul « c ». On le voit clairement dans ses livres où il ressort également que
Gardner utilisait de plus en plus souvent ce mot tout au long des années 1950.
Cela semble s’accorder avec la véhémence de Gardner pour assurer la survie du
Culte des Sorcières et aussi à définir solidement la Sorcellerie de Gardner non
seulement par rapport à celle de ses contemporains, mais aussi par rapport aux
marchands de « Magie Noire », dont les histoires eurent souvent l’honneur des
journaux au cours des années 1950.
Que sont-elles alors? Ce sont les gens qui
s’appellent eux-mêmes les Wica, les « sages », qui pratiquent les anciens rites
et qui ont, avec beaucoup de superstition et une grande connaissance des
plantes, préservé un enseignement occulte et des manières de pratiquer qu’elles
considèrent être de la magie ou de la sorcellerie. [3]
Si l’on se penche maintenant sur son livre de 1959 « The
Meaning of Witchcraft », nous trouvons un grand nombre d’utilisations du mot «
Wica », il apparaît 17 fois dans le livre. « Wicca » est aussi utilisé pour la
première fois par Gardner qui l’emploie cinq fois, mais à chaque fois c’est
quand il parle d’étymologie. Comme Doreen Valiente a aidé Gardner pour la
rédaction de ce livre, mon sentiment personnel est qu’il est fort possible que
ce soit Doreen qui ait proposé d’inclure ces parties sur l’étymologie. Ses
autres écrits et ses notes indiquent clairement qu’elle s’intéressait beaucoup à
la racine du mot.
Enfin, nous arrivons au livre de 1960 « Gerald Gardner: Witch » écrit par Idries
Shah, mais attribué à Jack Bracelin. Il a été écrit alors que Gardner était
encore en vie et on peut dire qu’il est presque autobiographique. Dans ses
pages, on trouve le mot «Wica » utilisé 21 fois sans qu’on ne retrouve jamais «
Wicca ». On retrouve cette manière de faire partout chez Gardner, Le mot « Wica »
est constamment employé dans ses Livres des Ombres alors qu’on n’y voit jamais «
Wicca ».
Indépendamment de tout raisonnement étymologique, il
est très clair que Gardner utilisait le mot « Wica » avec intention et avait à
l’esprit une idée précise sur la façon dont ce mot était utilisé et à quoi il
faisait référence. Un bon exemple de ceci peut être trouvé dans une entrevue
qu’il a accordée au « Daily Dispatch » le 5 août 1954 où Gardner explique au
journaliste:
... Il y a des sorcières hommes et des sorcières
femmes. Tous sont appelés wica.
Dans « The Observer » du 16 décembre 1956, Gardner
écrit: « Les prêtres et prêtresses qui dirigeaient ces festivals, étaient
appelés Les Wica, ce qui signifie « Les Sages ».
Si l’on compulse les articles de journaux des années
1950 et 1960, recueillis par Doreen Valiente [4] on peut constater que Gardner
utilisait et choisissait presque toujours l’orthographe «Wica ». Il y a quelques
rares cas où « Wikka » et une ou deux autres variantes sont utilisées, mais
dans ces cas, je pense que c’est dû au journaliste qui a tout simplement oublié
de faire préciser l’orthographe.
Si l’on examine le contexte dans lequel Gardner utilisait « Wica » on peut dire
que pour lui il s’agissait d’une sorcière, un sage. Collectivement, ils étaient
« les Wica ». Gardner n’utilisait pas de façon interchangeable « Wica » et «
Wicca ».
Le dictionnaire en ligne de l’Anglais d’Oxford donne cette définition
pour «Wicca» : « culte moderne de la sorcellerie ». Aujourd'hui, les adeptes de
la Wicca sont appelés Wiccans. Pour Gardner, la religion était le « Culte de la
Sorcellerie » ou « Le Culte des Sorcières » (presque certainement inspiré du
titre du livre de 1921 de Margaret Murray « Le Culte des Sorcières en Europe
Occidentale), ses adeptes étaient connus sous le nom des Wica.
Nous pourrions dire qu’il s’agit juste d’une erreur étrange de
compréhension de Gardner, une bizarrerie de sa personnalité si particulière,
s’il n’était pas considéré comme le « Père de la Sorcellerie Contemporaine ».
Dans ce cas, son usage et sa compréhension de ces mots est tout de même très
important !
Après avoir brièvement examiné l’étymologie et l’usage par Gardner du
mot « Wica » dans les années 1950, voyons maintenant ce qui est, je pense, un
facteur politique majeur qui a influencé l’utilisation et la signification de ce
mot. Si l’on se réfère à Charles Cardell et son Art des Wiccens, « Wica » a pris
une nouvelle signification et contribuait à définir les différences entre les
Sorcelleries de Gardner et de Cardell dans leurs combats publicitaires.
Cardell: Leader des « Wiccens »
On ne sait pas exactement quand Gardner a rencontré pour la première fois
Cardell. Nous savons que Cardell était en pourparlers avec Gardner lorsque
celui-ci souhaitait déplacer le musée de la Sorcellerie à Londres. Cela semble
indiquer qu’il existait une relation amiable entre les deux hommes au milieu des
années 1950.
Puis, en 1957, le journal « Weekend » a publié un article sur Gardner intitulé
« Je suis une Sorcière ». Il y a eu ensuite en 1958 d’autres articles sur les
activités des membres du Bricket Wood Coven. Comme on ne parlait plus que des
Wica, Cardell a commencé à écrire une série d’articles parus dans « Light » le
journal du « College
of Psychic Science ». Dans l’un d’entre eux il demandait à tous les véritables
« Wiccens » de prendre contact avec lui. Peu de temps après Cardell a demandé à
Gardner de lui donner les mots de passe traditionnels de la Sorcellerie. Leur
alliance s’est maintenant transformée en rivalité et avec l'arrivée d’Olive
Greene cette rivalité était sur le point de se transformer en une « Guerre
Sorcière ».
Olive Greene, (alias Olwen Armstong Maddocks) était l’épouse du
président de la Chambre de Commerce du Brésil, M. Edward Greene. On la décrivait
comme élégante et portant toujours un manteau en léopard. Sa première demande
pour rejoindre les Wica, via Jack Bracelin à Bricket Wood, a échoué. Gardner,
facilement séduit par une belle dame, a décidé de l’initier lui-même, en
affirmant plus tard qu’Olive l’avait « drogué » avec des friandises.
Olive a pris « Florannis » comme Nom de Sorcière, mais elle ne semble
pas avoir été trop impressionnée par Gardner et sa Sorcellerie et peu de temps
après Olive a écrit à Cardell à propos de ses articles dans « Light ». A cette
époque, Cardell était plus ou moins psychologue et consultait dans un cabinet
richement décoré de Queens Gate à Londres. Il lui a répondu en lui disant qu’il
serait en effet très heureux de la rencontrer et a proposé un rendez-vous fin
Mai 1959.
Suite à leur rencontre, il semble qu’Olive soit devenue une espionne
pour Cardell et lui a rapporté ce que faisait Gardner et lui a parlé de ses
activités Sorcières Elle a aussi commencé à travailler comme réceptionniste pour
Cardell. Olive s’en est ensuite prise à Gardner, qui, avec sa femme Donna,
étaient réellement bouleversés par la trahison d’Olive. Malheureusement, Donna
est décédée peu de temps après en Janvier 1960, Gardner pensait que le stress
lié à cette situation désagréable a accéléré le déclin de Donna.
Peu de temps après la mort de Donna, Margaret Bruce, la propriétaire de la
société de vente par correspondance d’objets magiques et amie de Gardner, lui
écrit pour lui parler de ce qui se passait avec Olive, les Cardell et leur
entreprise « Moon Magick ». Margaret a composé une chansonnette parlant de
Cardell et ses machinations:
Nous pensons qu’il est tragick
Que ceux qui n'ont pas de Magick.
Lancent une vendetta
Contre ceux qui en savent plus qu’eux
Nous, qui pratiquons l’Art
Ne voulons pas y prendre part
C’est dommage que les « Wicca »
Ne le réalisent pas plus vite. [5]
Le ton moqueur de ce texte reflète bien l’animosité
que Margaret et Gardner avaient pour la « Wicca » de Cardell et révèle aussi que
cette orthographe, en plus de « Wiccen » était également utilisée par Cardell.
La guerre entre Cardell et Gardner n’est pas encore terminée. Quelques années
plus tard, peu après la mort de Gardner en 1964, des extraits du Livre des
Ombres Gardnerien qu’Olive avait reçu de Gardner furent publiés par Charles
Cardell dans la brochure diffamante, « Witch ». Dans ce livret, Cardell (alias
Rex Nemorensis), sort son « épée de la cité d’Eau » [6] littéraire et affirme :
Nos propres investigations et celles de la Folk-Lore Society ont
prouvé de façon concluante qu’il n’y a pas de Sorcellerie contemporaine en
Grande-Bretagne avant l’avènement de Gerald Brosseau Gardner et Doreen
Vlachopoulos [7]. Jusque-là, les sorcières n’étaient que des personnages de
contes de fées pour enfants. »[8]
La brochure
incluait aussi une condamnation diffamante des motifs de Gerald Gardner et
Doreen Valiente et allait jusqu’à, de façon étrange, reproduire les certificats
de mariage et de naissance de Doreen.
De façon tout à fait compréhensible cette action a indigné de nombreux Wica qui
se sont tournés contre Cardell. Doreen a envoyé des lettres à plusieurs autres
Aînés, les appelant à s’unir tous contre les hostilités de Cardell.
Quelques années plus tard, en 1967, Mary Cardell (la pseudo-sœur de
Charles) était au tribunal et niait les allégations de la « Sorcellerie dans les
Bois ». L’affaire avait débuté plusieurs années plus tôt, en 1961, quand un
journaliste a vu les Cardell participer à un rituel de Sorcellerie dans les bois
sur leur propriété. Interrogés sur la série d’articles dans « Light », Mary a
répondu que le mot « Wiccens » avait été inventé par Charles et que les articles
avaient été écrits pour essayer d’attirer l’attention de Gardner, pour essayer
de compromettre son Culte de la Sorcellerie.
Encore un exemple du mot «Wica» utilisé d’une façon précise peut être
trouvé dans une lettre envoyée à Gardner en 1963 par Arnold Crowther. [9] Dans
cette lettre à entête on trouve l’expression « The Wica Agence de Détective ».
Elle parle des investigations de Crowther au sujet d’une nouvelle Sorcière dont
on commençait à parler dans la presse : Alex Sanders. De tels travaux de
« détective » ont probablement été inspirés en partie par le fait qu’Alex,
commençait à apparaître dans les médias en 1962. Arnold fait référence à
lui-même comme « L’Agence Wica de Détective » révèle un sentiment
d’appropriation du mot « Wica ».
Cette même année il y a aussi eu des petites annonces dans le magazine
Fate. L’une d’elle était pour un « Wica Perthshire Circle ». Il doit
probablement s’agir de Monique et Scotty Wilson. Une autre annonce parlait d’un
groupe « Wicca - Dianique et Aradianique » basé à Cardiff au Pays de Galles.
Mary Cardell venait du Pays de Galles et Diane était la Déesse principale dans
des textes d’Atho qui semblaient venir de Cardell. Il est donc probable que
cette publicité soit en rapport avec eux.
Si on jette un coup d’œil aux archives des journaux de
la fin des années 1960, on constate facilement que le mot « Wicca » est de plus
en plus fréquent. Je ne suggère pas que la sorcellerie de Cardell devenait la
plus importante, mais plutôt que les gens étaient de plus en plus conscients de
l’étymologie du mot et commençaient à penser que Gardner avait mal orthographié
le mot. En outre, les écrits de Doreen Valiente (qui était plus
perspicace et choisissait généralement l’étymologie correcte plutôt que celle de
Gardner) ont aussi été de plus en plus fréquents et je soupçonne que son
utilisation de Wicca servait un double objectif. Non seulement c’est
étymologiquement correct, mais cela signifie aussi qu’elle contribuait à
récupérer un mot qu’elle considère que Cardell n’avait pas le droit d’utiliser.
D’autres écrits des années 1960, de Justine Glass et « King of the Witches » le
livre de June John, utilisent aussi « Wicca », Glass précisant que: « Wiccan »
est la forme plurielle correcte de « Wicce ». A la fin des années 1960 on ne
parlait presque plus que de « Wicca ».
Nous arrivons maintenant aux années 1970, Wicca et
Wiccan ont maintenant leur propre identité et cette situation a perduré depuis,
même si, au cours des dernières années, il y a eu des signes de retour de la
notion de «Wica », en particulier aux Etats-Unis, où le terme est actuellement
employé pour tenter de distinguer la Sorcellerie Gardnerienne de la Wicca
populaire plus générique.[10].
N’est-il pas un peu ironique de constater que
l’héritage de Gardner soit maintenant être appelé « Wicca », un terme qu’il
n’utilisait jamais ? Surtout lorsqu’on pense aussi que « Gardnerien » est un mot
inventé à l’origine pour dévaloriser les initiés de Gardner.[11] Ces deux
exemples nous montrent la facilité avec laquelle les mots et leur sens peuvent
aussi être déformés mais aussi revendiqués. D’une part, cela n’a pas vraiment
d’importance que « Wica » ait été transformé par de nombreuses personnes en «
Wicca », nous savons tous de quoi nous parlons et c’est bien ce qui compte,
n’est-ce pas ? Les mots ont du pouvoir et « par les Noms et les Images, tous les
Pouvoirs sont éveillés et réveillés. »[12] Le mot « Wica » nous raconte une
histoire sur une époque de l’histoire de la Sorcellerie qui a contribué à
façonner ce que nous sommes aujourd'hui. « Wicca » ne pourra jamais faire cela.
[1] Gardner, «The Meaning of Witchcraft » p 96 Magickal Childe 1991.
[2] Gardner, « The Meaning of Witchcraft » p120 Magickal Childe 1991.
[3] Gardner, «Witchcraft Today » p121 Arrow
1970
[4] Un grand merci à Melissa et Rufus Harrington, du Musée de la Sorcellerie de
Boscastle et Philip Heselton.
[5] Lettre du 23 Février 1960. Collection du Musée de Boscastle.
[6] « Le Coven d’Atho » Melissa Seims.
The Cauldron no.126.
[7] Un ancien nom de famille de Doreen Valiente
[8] « Witch » par Nemorensis Rex (1964)
[9] Lettre en possession des James de la Wiccan Church of Canada.
[10] Je suis également responsable de la mise en avant du mot « Wica » car
lorsque je parlais de Wicca mon initiateur, Charles Clark, me précisait que « Wica »
n’était lié qu’à la Sorcellerie de Gardner.
[11] Pentagram magazine août 1965
[12] Une ligne du rituel de Néophyte de la Golden Dawn.