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Qui labourera ma Vulve ?

Inanna Insatiable Déesse de l’Amour
par Melissa Seims version française Tof

Quand nous entendons le nom d’Inanna, l’histoire de sa descente mystique par les sept portes, dans les profondeurs des Enfers, est l’aspect de la légende qui vient le plus facilement à l’esprit. Probablement parce qu’il correspond avec nos propres expériences de périodes sombres et je suspecte qu’il n’y a que peu de gens qui ne se sentent concernés d’une manière ou d’une autre par cette légende. Les épreuves et les angoisses qui sont déclenchées par des états de désespoir, quand dans la vie plus rien ne va et tout semble être sombre, vous marchez dans un tunnel obscur et vous désespérez de trouver la lumière de la compréhension et de vous égarer définitivement. Finalement, il y a (si tout va bien) une renaissance symbolique, une re-émergence et vous vous trouvez plus âgé, plus sage et avec quelques rides de plus.

Ma vision d’Inanna s’est modifiée quand je suis tombée sur le livre « Inanna Queen of Heaven and Earth – Her Stories and Hymns from Sumer » de Diane Wolkstein et Samuel Noah Kramer. J’ai été tout de suite frappée par l’image d’Inanna sur la couverture qui semblait dépeindre une Déesse couronnée toute sourire avec de longues tresses et ce qui ressemblait à des phallus dépassant de ses épaules, on nous dit qu’il s’agit en réalité de plumes ! (Fig.1). J’ai réalisé qu’il y avait bien plus en Inanna que ce qu’on pense ou décrit généralement et que la descente d’Inanna n’est qu’une partie mineure de son histoire épique.

Le livre de Wolkstein et Kramer est essentiellement une traduction des inscriptions du mythe d’Inanna trouvées sur les tablettes de pierre de l’ancienne Sumer qui ont été déterrées dans les ruines de Nippur, une des villes les plus anciennes de Babylone et le centre culturel et spirituel de Sumer, qui correspond aujourd’hui à la région du sud de l’Irak. On pense que ces tablettes datent de 1750 avant notre ère et ont été déterrées par l’Université de Pennsylvanie entre 1889 et 1900. Samuel Kramer fut un homme clé de la restauration et de la traduction des textes trouvés sur les tablettes brisées, alors que Diane Wolkstein, une folkloriste et conteuse, a pris le temps d’étudier la langue, la culture et l’histoire de l’ancienne Sumer et nous présente son interprétation inspirée du mythe d’Inanna basée sur ces traductions.

En ouvrant ce livre, vous découvrirez la charmante légende d’Inanna « une jeune femme qui a aimé rire » qui a planté et apporté des soins affectueux à l’Arbre d’Huluppu. Même si certains pensent qu’il s’agit, selon les versions, d’un saule, d’un peuplier ou d’un palmier dattier, il a aussi quelques parallèles évidents avec l’Arbre de Vie.

Au désespoir d’Inanna, un serpent fait son nid dans le Huluppu, de même qu’Anzu l’effrayant oiseau à tête de lion et Lilith ce démon à la sexualité débridée. On dit que cela représente les craintes inexprimées et les désirs d'Inanna et en fait un personnage proche de la jeune fille.

Après avoir beaucoup pleuré (angoisse adolescente ?), Gilgamesh, le frère d’Inanna vient et abat l’arbre avec sa hache grande et brillante, une action qui semble symboliser la fin de son enfance. Avec le bois on fait un trône et, plus important, un lit pour Inanna qui est maintenant prête à devenir une femme et une Reine.

Inanna s’embarque ensuite pour un voyage épique où elle est fertilisée mentalement, spirituellement et émotionnellement par une rencontre avec Enki son (grand) père qui est à la fois Dieu de la Sagesse et Dieu de l’Eau - un composant essentiel de fertilité quand il est question de végétation et à la croissance. Dans l’ancienne Sumer le mot désignant l’eau désigne aussi le sperme. Quand Inanna atteint le temple d’Enki à Eridu, « où la royauté est descendue du ciel », ils se sont reposés toute la nuit en s’enivrant et ivre Enki a offert à Inanna toutes sortes de présents, dont de nombreux concepts ( Ce sont les Moi, les dons de la civilisation). En recevant le don de prendre des décisions elle a décidé de garder tous les Moi pour elle et les siens. Elle a chargé ces dons sur son « Bateau des Cieux » et a fui rapidement avant qu’Enki puisse changer d’avis.

Enki ayant dessaoulé a réalisé ce qu’il avait fait, a crée divers monstres magiques et les a envoyés à Inanna. Il y a eu en tout sept tentatives d’Enki pour empêcher sa fille d’arriver chez elle avec les Moi divins. Il semble qu’elles sont comme les épreuves rencontrées par la suite par Inanna aux sept portes conduisant au domaine des Enfers de la Reine Ereshkigal, qui dans certaines versions de ce mythe est la sœur jumelle d’Enki. Dans ce cas, la sorcellerie d’Enki essaye de stopper le retour d’Inanna du royaume des Dieux jusqu’à sa demeure dans la ville d’Uruk. Il est contré à chaque fois par Ninshubar (qui semble représenter le Soi d’Inanna) et ainsi la Déesse revient d’Eridu chez elle sans dommages avec les Moi  merveilleux, et avec eux, sa propre souveraineté.

Le trône d’Inanna lui convient maintenant tout à fait, mais son lit spécial est toujours vide. Après de nombreuses vilenies (masculines cette fois), elle tombe finalement amoureuse de  Dumuzi (aussi appelé Tammuz), un Dieu de la végétation qui est aussi un berger mortel (sachez qu’à Sumer, le berger était souvent utilisé comme métaphore pour les organes génitaux féminins).

Cette section de la traduction de Wolkstein, avec ses métaphores sexuelles évidentes et nombreuses en fait une lecture érotique puisque nous trouvons Inanna qui dit :

Ma vulve, la corne
Le Bateau des Cieux
Est pleine d’ardeur comme la jeune lune.
Ma terre est en jachère n’est pas labourée
Quant à moi, Inanna,
Qui labourera ma vulve ?
Qui labourera mon champ ?
Qui labourera ma terre humide ?

Dumuzi a répondu poliment qu’il serait plus qu’heureux de labourer la vulve d’Inanna car « le cèdre se dresse chez le roi ». Inanna a chanté alors : 

Il a grandi, il a bourgeonné
Il est laitue plantée dans l’eau
Il est celui que mes entrailles préfèrent.

Mon homme miel, mon homme miel me sucre toujours.
Mon seigneur, l’homme miel des dieux,
Il est celui que mes entrailles préfèrent.
Sa main est miel, son pied est miel,
Il me sucre toujours. […]

Rends ton lait doux et épais, mon époux.
Mon berger je boirai ton lait frais.
Dumuzi, taureau sauvage, rendent ton lait doux et épais.
Je boirai de ton lait frais.
Que le lait de la chèvre coule dans ma bergerie.
Remplis ma baratte sacrée de fromage de miel.
Seigneur Dumuzi, je boirai ton lait frais

Selon les théologiens Sumériens modernes et les mythographes, ces chants d’amour Sumériens étaient intégrés au statut de Déesse d’amour d’Inanna, mais pas de la façon moderne douce et légère, car Inanna était aussi très ambitieuse et agressive. Les aspects « sombres » (ce qui ne signifie pas négatifs) d’Inanna comme Déesse de l’Amour peut être retrouvés dans la déesse Ereshkigal qui gouverne les enfers et tourmente Inanna pendant sa descente. Mais Ereshkigal est aussi la grande sœur d’Inanna, elle est son coté plus sombre, la vengeance, sa face cachée. Le côté Inanna qui doit faire face avant de pouvoir réellement revenir et diriger son royaume, mais aussi son être tout entier car sans l’obscurité, nous ne pourrions pas distinguer la lumière et sans connaître les deux côtés, on ne pourrait trouver l’équilibre entre les deux.

Ainsi, Inanna est descendue et s’est confrontée à son côté sombre, Ereshkigal, qui avec sa propre rage, sa sexualité dévorante et compulsive, ne semble exiger que sa propre satisfaction. Ayant dépouillé Inanna de tout elle l’accroche à un crochet de boucher et la laisse mourir. Mais Ninshubur l’aspect spirituel d’Inanna, en appelle aux Dieux, ce qu’Inanna lui avait demandé, et suite à l’intervention d’Enki, Inanna re-naît dans les Enfers. On a créé un passage entre ce qui est En Haut (lumière) et ce qui est En Bas (ténèbres) par lequel on permet à Inanna de repartir. Mais, il y a un prix à payer, car « personne ne revient des enfers sans être marqué… elle doit mettre quelqu’un à sa place… » Inanna retourne En Haut et constate que son amant Dumuzi a fait en sorte de régner pendant son absence, ainsi, Inanna l’envoie aux enfers pour qu’il se confronte à son côté sombre ainsi que pour prendre sa place. Heureusement, le côté « lumière » d’Inanna, réalise peut-être que sans lui elle sera stérile et autorise son retour et sa résurrection tous les six mois au moment où sa sœur Geshtinanna, prend sa place. A Sumer cette renaissance annuelle de Dumuzi et son mariage à Inanna qui suit, fut célébré chaque année au moment de l’équinoxe de printemps dans le rituel du mariage sacré (le hieros gamos).

Cette partie de l’histoire d’Inanna semble avoir quelque chose en commun avec celle de Hadès et de Perséphone. Alors qu’Hadès est aujourd’hui généralement dépeint comme le méchant garçon, les Grecs l’appelaient aussi « Le Riche » et il est souvent  décrit avec une corne d’abondance qui déborde. De même, dans certaines du mythe c’est en réalité Perséphone qui était la « destructrice » et la Reine des Enfers, et les mystiques Orphiques la célébraient comme la Déesse des Morts Bénis.

On retrouve ailleurs ce statut changeant chez de nombreux anciens Dieux et Déesses. Par exemple, dans l’histoire d’Aphrodite, une Déesse qui semble être considérée aujourd’hui comme une Déesse de l’Amour et dans des séries télé comme « Xena » c’est une adorable femme blonde aux cheveux bouclés. Mais, si on creuse un peu le sujet on trouve également des histoires fragmentaires où elle est identifiée avec Epitymbie, « sur les tombes » et Androphone, « tueuse d’homme ». Ces aspects peuvent être considérés comme une manifestation du règne d’Aphrodite sur les enfers comme c’est également suggéré par les histoires de Perséphone et d’Inanna, et en plus, cela nous donne un lien puissant entre le sexe et la mort.

Avec le temps, les perspectives changent en raison d’événements politiques et historiques, et ainsi de nombreux mythes se déforment. Les dernières deux mille années, avec leur forte influence patriarcale et chrétienne, ont fait que les prostituées sacrées et les Déesses d’Amour extraverties et sexuelles ont été escamotées et même démonisées et les descriptions modernes des Déesses de l’Amour sont plus affables, avec des paillettes et des faux-cils et sont en grande partie privées des aspects dévergondés et assoiffés de sexe. Ce ne sont plus des Déesses. Lors d’un voyage à Rome j’ai été frappée par le fait que tant de belles statues de Pan, Dionysos et Bacchus ont été à un moment de l’histoire privées de leurs organes génitaux de peur qu’ils soient offensants. Pouvez-vous imaginer cela – Pan sans phallus !

Combien de fois avez-vous vu des Déesses de l’Amour représentées avec des guirlandes de fleurs, un très beau visage souriant et peut-être un cupidon avec une flèche sur son épaule ? Réfléchissez, combien parmi ces Déesses kitsch de l’Amour sont représentées avec un visage exprimant l’extase sexuelle ? Si vous prenez des livres modernes populaires sur la magie d’amour, vous pouvez être certain qu’Aphrodite sera là mais qu’en est il d’Inanna, sa sexualité débridée et sa vulve « merveilleuse à contempler »? Si vous faites une recherche de Déesses de l’Amour sur Ebay, vous tomberez sur des pages et des pages de Déesses toutes mignonnes ornées d’étoiles, de papillons et de fleurs. Mais les Déesses obscènes et grimaçantes comme les Sheela-Na-gigs ou des Déesses manifestement sexuelles avec les jambes violemment et passionnément écartées sont bien plus rares.

L’histoire d’Inanna ne la célèbre pas uniquement comme une Déesse de l’amour, si vous acceptez qu’Ereshkigal est le côté sombre d’Inanna, son mythe célèbre aussi sa sexualité dans ses aspects encourageants et voraces (pour cet aspect, Lea Sublime de Crowley vient immédiatement à l’esprit). Le mythe d’Inanna nous rappelle également que le sexe et l’amour ne sont pas séparés l’un de l’autre car durant le flirt passionné avec Dumuzi, on nous dit qu’elle est « douce quand on dort avec elle main dans la main, encore plus douce quand on dort avec elle cœur contre cœur » et elle parle de Dumuzi comme « Mon tendre amour, couché sur mon cœur ». C’est aspect compassionnel de son être qui l’accueille à son retour des enfers tous les six mois.

Alors que la société moderne semble capable de séparer le sexe et amour, on ne peut rien y changer mais juste se demander si cela ne fait pas qu’encourager un hédonisme, égocentrique qui sépare le cœur de l’âme. J’ai l’impression que c’est un peu comme Inanna qui envoie Dumuzi dans les enfers avec sa sœur (ou elle-même) plus sombre, la Reine Ereshkigal. Comment la Reine de Cieux sera-t-elle fertilisée ?

Je n’ai fait qu’évoquer l’histoire épique, complexe et aux multiples strates d’Inanna qui semble nous mener des hauteurs de l’inspiration spirituelle jusqu’au tréfonds cachés de notre esprit. Comme pour un bon jeu de tarot, vous pouvez interpréter un bon mythe de façons multiples et utiliser ses messages pour réfléchir à votre propre sens du Moi. Ainsi, si vous appréciez un bon livre et si j’ai fait poindre votre intérêt (le jeu de mot est intentionnel) par les petits extraits ci-dessus, procurez-vous une copie de ce livre, vous ne verrez probablement plus Inanna de la même façon.

 

« Inanna Queen of Heaven and Earth – Her Stories and Hymns from Sumer » par Diane Wolkstein et Samuel Noah Kramer. Première édition par by Harper Perennial 1983 ISBN 0060908548. Edition en livre de poche by Rider 1984 ISBN 0091581818


 

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Dans la joie nous nous sommes réunis, dans la joie nous nous séparons et dans la joie nous nous retrouverons!