ARADIA
OU
L'EVANGILE DES SORCIERES
Charles G.
Leland version française Véro

CHAPITRE XV
Laverna
L'histoire qui suit,
avec son incantation, n'était pas dans le texte du Vangelo, mais il appartient
de toute évidence à une série de légende en rapport avec lui. Diane y est
décrétée protectrice de toute chose, qui vivent la nuit, de préférence les
voleurs.
Et Laverna, comme il est dit dans Horace (épître 16,1)et Plautus, était la
protectrice des voleurs et des voyous. Dans cette histoire elle apparaît comme
une sorcière et une humoriste.
L'histoire me fut remise comme une tradition de Virgile, qui est souvent
présenté comme familier des domaines du merveilleux et de l'art de la magie.
Il arriva que Virgile qui n'ignorait rien de tout ce qui touchait à la magie, et
qui était lui-même écrivain et magicien, entendit un discours assez vide de
sens, tenu par un orateur célèbre, et on lui demanda ce qu'il en avait pensé. Et
il répondit :
« il me semble impossible de vous dire s'il s'agissait là d'une introduction ou
d'une conclusion ; en tout cas il n'y avait pas de corps à ce discours. C'était
comme certains poissons dont on ne sait pas s'ils sont faits entièrement de
tête, ou entièrement de queue ; ou bien la Déesse Laverna, dont on n'a jamais su
si elle n'était que tête, ou que corps, ou aucun des deux, voire les deux »
Alors l'Empereur voulut savoir qui était cette déité, dont il n'avait jamais
entendu parler. Et virgil répondit :
« Parmi les Dieux et les Esprits des temps anciens –qu'ils nous soient
favorables !
Parmi eux était une femme qui était la plus rusée et la plus polissonne d'entre
eux tous. Elle s'appelait Laverna. Elle était une voleuse, assez peu connue des
autres déités, qui étaient honnêtes et dignes, car elle était rarement au ciel
ou dans le pays des fées.
« Elle était toujours sur terre, parmi les voleurs, les pickpockets, elle vivait
dans l'obscurité. Il arriva un jour qu'elle apparaisse à un mortel, un prêtre,
sous forme d'une très belle prêtresse (d'une Déesse quelconque) et elle lui dit
:
« Tu possèdes un terrain que je souhaite acheter. Je souhaite y ériger un temple
à (notre) Dieu. Je te jure sur mon corps, de te payer dans moins d'un an »
Et le prêtre lui céda le terrain.
En peu de temps Laverna eut vendu toute la récolte, le grain, le bétail, le bois
et la volaille. Ce qui restait ne valait plus un liard.
Et le jour du paiement il n'y avait pas trace de Laverna. La chère Déesse était
loin et avait laissé son créancier planté là.
Dans le même temps Laverna alla voir un grand Seigneur et lui acheta un château,
meublé richement, et entouré de riches terrains.
Cette fois elle jura sur sa tête de payer dans les six mois.
Et comme elle l'avait fait avec le prêtre, elle vola et vendit chaque meuble,
animal, homme et souris du château, ce qui resta à la fin n'aurait même pas
suffit à rassasier une mouche.
Quand le prêtre et le Seigneur eurent compris à qui ils avaient eu à faire, ils
s'adressèrent aux Dieux et se plaignirent d'avoir été dupés par une Déesse.
Et bientôt tous surent qu'il s'agissait de Laverna, c'est pourquoi elle fut
jugée par tous les Dieux.
Quand il lui fut demandé ce qu'elle avait fait des biens du prêtre, auquel elle
avait juré sur son corps de payer dans les temps (et d'ailleurs, pourquoi avait
elle renié sa parole ?)
Elle répondit d'une étrange manière, qui les étonna tous, elle fit disparaître
son corps, de sorte que seule sa tête restât visible, et celle ci cria «
Regardez-moi ! j'ai juré sur mon corps, mais je n'ai pas de corps »
Alors les Dieux rirent.
Après le prêtre ce fut le tour du Seigneur qui avait aussi été lésé par elle et
à qui elle avait fait serment sur sa tête. Et en guise réponse elle montra sans
honte, à tous, son corps, qu'elle avait fort beau, mais qui n'avait pas de tête,
et une voix, venant d'au-dessus de son cou, parla :
« Regardez-moi, car je suis Laverna, qui veut se défendre des accusations du
Seigneur, qui jure que je suis fautive envers lui, et que je n'ai pas payé mes
dettes, bien que le délai soit passé depuis longtemps, et que je suis une
voleuse, car j'ai fait serment sur ma tête – mais, comme vous le voyez tous, je
n'ai pas de tête, et par conséquent je n'ai jamais pu faire un tel serment»
Et ce fut alors un tonnerre de rires parmi les Dieux, qui prièrent la tête de
rejoindre le corps, et demandèrent instamment à Laverna de payer ses dettes, ce
qu'elle fit. Alors Jupiter prit la parole et dit :
« Nous avons là une espiègle déesse sans devoirs (et sans croyants) alors que
Rome est pleine de voleurs, d'escrocs, de faussaires et de marauds –ladri,
bindolini, truffatori e scrocconi- qui tous vivent de mauvaises actions. Tout ce
petit peuple n'a ni église, ni Dieu et c'est une honte, car même les pires des
démons ont un maître, Satan, comme chef suprême de leur famille. Je propose donc
que Laverna, à l'avenir, soit la Déesse des escrocs et des vendeurs malhonnêtes,
et également de toute la lie de la race humaine, qui jusqu'à présent n'avaient
ni Dieu ni Démon, car ils n'intéressaient ni l'un ni l'autre.
C'est ainsi que son rôle échut à Laverna.
Si quelqu'un avait un projet malhonnête, il se rendait dans son temple et priait
Laverna, qui lui apparaissait sous forme de tête de femme. Si toutefois il avait
mal accompli son forfait, il ne voyait que son corps quand il la priait à
nouveau ; et s'il avait été malin, il la voyait tout en entier, tête et corps.
Laverna n'était pas plus chaste qu'honnête, et avait beaucoup d'amants et
d'enfants. Il se disait qu'elle regrettait souvent sa vie et ses fautes, car au
fond d'elle-même elle n'était pas mauvaise. Mais, quoi qu'elle fasse elle
n'arrivait pas à s'améliorer, car sa passion était trop profondément ancrée en
elle.
S'il arrivait qu'un homme ait engrossé une femme, ou si elle jeune fille était
enceinte, et qu'elle voulait le cacher au monde et échapper au scandale, elles
priaient Laverna chaque jour (*)
Quand arrivait le moment de la délivrance, Laverna les emportait nuitamment dans
son temple, et après la naissance les replongeait dans le sommeil et les
reconduisait dans leur lit, chez elles. Et au réveil, le matin, tout ne leur
semblait avoir été qu'un rêve. (**)
Laverna était bonne et indulgente envers celles qui, après un temps,
souhaitaient reprendre leur enfant, s'ils menaient une vie qui lui convenait, et
s'ils la priaient ardemment.
Et voici la cérémonie, qui doit être accomplie, et la prière qui doit être
adressée à Laverna chaque nuit.
Il doit y avoir un endroit précis dévoué à la Déesse, une chambre, une cave, une
grotte, mais en tout cas un endroit isolé.
Il faut alors prendre une table de la taille de 40 cartes à jouer mises
étroitement les unes à côté des autres, elle sera cachée dans l'endroit prévu et
il faudra se rendre là bas durant la nuit
Prendre 40 cartes et les poser sur la table, comme un tapis ou une nappe Prendre
les herbes « paura » et « concordia » et les faire cuire ensemble. Pendant ce
temps répéter ce qui suit :
Invocation
Je cuis un bouquet de concordia
Pour être en paix et en harmonie avec Laverna
Pour qu'elle veuille bien me rendre mon enfant,
Et que sa bonté protège ma vie de tous les dangers !
Je cuis cette herbe, et pourtant ce n'est pas elle que je cuis
Je cuis la peur, (***)
Pour tenir éloigné tout intrus, et s'il devait en venir un
(qui espionnerait mon rituel) qu'il soit frappé
de terreur et qu'il s'enfuie ! (****)
(*) ceci est aussi une qualité de Diane, qui est invoquée de la même manière.
J'ai ôté un certain nombre de répétition du manuscrit original et j'ai également
résumé la suite.
(**)Tout ceci indique par divers points une vraie tradition. Dans les mains des
prêtres ceci serait un bon moyen de gagner en popularité
(***) Je suppose qu'il s'agit là de pavot sauvage. Le pavot était dédié à Ceres
mais aussi à la nuit et à ses rituels, et Laverna était une déité nocturne, sans
doute un jeu de mot avec « paura » la peur.
(****)Ce passage rappelle étrangement les oeuvres de la Déesse greco-romaine
Pavor (ou peur) accompagnatrice de Mars. Elle était souvent invoquée pour
effrayer les intrus ou les ennemis. Achille demande aux 7 chefs, devant Thèbes,
de jurer par La Peur, Mars et Bellona (Mem.Acad. of Inscriptiosn v 9)
Après que ceci ait été dit, mettre les herbes bouillies dans une bouteille,
étaler les cartes sur la table une par une et dire :
Invocation
Devant moi j'étale à présent 40 cartes
Mais ce ne sont pas 40 cartes
Que j'étale maintenant
Ce sont 40 Dieux
Supérieurs à Laverna,
Et que tous prennent l'aspect de volcans brûlants,
Jusqu'à ce que Laverna vienne et me rende mon enfant ;
Et tant que cela ne sera pas, qu'ils crachent
Des flammes de feu, et qu'ils crachent des charbons ardents
Par leurs nez, leurs bouches et leurs oreilles (jusqu'à ce qu'elle cède)
Qu'alors ils laissent Laverna en paix,
Libre de prendre ses enfants dans ses bras comme elle le souhaite »
« Laverna était la déesse romaine des voleurs, des escrocs, des plagiaires, des
hypocrites. Dans les environs de Rome il y avait un temple dans une grotte, où
les voleurs partageaient leur butin. Il s'y trouvait une statue de la déesse.
Selon certains c'était une tête sans corps, selon d'autres c'était un corps sans
tête, mais l'adjectif de « magnifique » que lui a appliqué Horace, indique que
celle qui fournissait des déguisements à ceux qui l'invoquaient, s'en était
gardé un pour elle »
Elle était invoquée en silence. Ceci est confirmé par quelques lignes d'Horace
(épître 16,I) dans lesquelles un imposteur « bougeant à peine les lèvres »
répète la prière suivante :
« ô déesse Laverna,
offre moi l'art du mensonge et de la tricherie,
fais en sorte que les gens croient que je suis droit,
saint et innocent ! Cache dans l'obscurité
la plus profonde, toutes mes exactions ! »
Il est intéressant de comparer cette invocation avec celle qui précédait. Les
basses couches de la société connaissaient bien Laverna, et chez Plautus, un
cuisinier, à qui on a volé ses outils de travail, l'appelle afin qu'elle le
venge.
J'appelle particulièrement votre attention sur le fait que, comme dans de
nombreuses incantations italiennes, la déité est menacée, que ce soit Laverna ou
Diane elle-même, des pires tourments par un pouvoir supérieur tant qu'elle
n'aura pas exaucé le voeu de celui qui la prie. Ceci est classique, que ce soit
chez les greco romains ou les orientaux, où le magicien ne se contente pas de
s'en remettre au bon plaisir, ou à l'aide de Dieu ou de Satan, mais utilise tous
les moyens à sa disposition pour obtenir ce qu'il veut. Je mentionne ceci car un
critique m'a reproché d'exagérer le point auquel le culte du diable –introduit
par l'église depuis
1500- est déficient en Italie.
Mais en fait, parmi les sorcières de haut rang, ou dans leurs traditions, on
n'en trouve pratiquement aucune trace. Dans le culte de Satan chrétien, la
sorcière n'osera jamais menacer Satan ou Dieu, ou la Sainte trinité, ou les
Anges, car tout le système est basé sur le concept d'une Eglise et de
l'obéissance.
L'herbe « concordia » tient sans doute son nom de la Déesse Concordia, qui était
représentée, tenant une branche. Cette plante joue un grand rôle dans la
sorcellerie, après la verveine et la rue.
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