ARADIA
OU
L'EVANGILE DES SORCIERES
Charles G.
Leland vresion française Véro

CHAPITRE IX
Tana et Endamone, ou Diane et Endymion
« hic ultra Endymionem indormit negligantiae »
« comme le dit la fable, Endymion, qui avait sa place sur l'Olympe, fut banni
sur Terre pour 30 ans, car il avait manqué de respect à Junon. Et après qu'on
l'eut autorisé à passer ce temps à dormir dans une grotte du Mont Athos, Diane
lui rendit visite, attirée par sa beauté, toutes les nuits, jusqu'à ce qu'elle
eut de lui 50 filles et un fils. Alors seulement Endymion eut le droit de
retourner sur l'Olympe »
(Diz, Stor. Mitol.)
La légende qui suit, et les paroles magiques, furent compilées sous le nom ou
titre TANA. C'est le nom étrusque pour Diane, qui est toujours utilisé en
Toscane romaine. Dans beaucoup d'ouvrages français ou italiens j'ai trouvé des
histoires de sorcières qui avaient endormi une jeune fille pour le compte de son
amoureux, mais ce sont ici les seules explications que je connaisse de toute la
cérémonie.
TANA
Tana est une magnifique déesse et elle aimait un très beau jeune homme du nom de
Endamone ; mais son amour fut perturbé par une sorcière, qui était sa rivale,
mais pour laquelle Endamone ne ressentait rien.
Mais la sorcière était bien décidée à le posséder, et pour cela elle convainquit
son serviteur de la laisser entrer nuitamment dans la chambre d'Endamone. Une
fois sur place elle prit l'aspect de Tana, qu'il aimait, afin qu'il croie que
c'était elle qu'il tenait dans ses bras, et il l'accueillit en lui ouvrant les
bras. En faisant cela il se soumettait à son pouvoir, car il lui permettait de
procéder à un charme en lui coupant une boucle de ses cheveux. (*)
Alors elle rentra chez elle et prit un morceau d'intestin de mouton, en fit un
sac, et elle y plaça ce qu'elle avait prit, noué d'un ruban rouge et d'un ruban
noir, et une plume, et du poivre et du sel, et alors elle chanta une chanson.
C'étaient les mots, une très ancienne chanson de l'art sorcier.
(*)Selon toutes les traditions de magie noire de la terre –particulièrement dans
le vaudou- un individu peut être maltraité ou tué par un magicien qui pourrait
obtenir une partie de sa personne, même toute petite, et surtout une mèche de
cheveux.
Ceci est très bien décrit dans Thiodolf l'Islandais, une romance de La Motte
Fouqué. L'échange de mèches de cheveux par les amoureux peut être apparenté à de
la magie.
Le charme
J'ai tissé ce sac pour Endamon,
C'est ma vengeance pour l'amour
L'amour profond que je ressentais pour lui
Et que tu ne m'as pas rendu
Tu l'as sacrifié sur l'autel de Tana,
Mais jamais Tana ne sera tienne !
Chaque nuit dorénavant tu souffriras
Et c'est à moi que tu le devras !
De jour en jour, d'heure en heure
Je te ferai ressentir le pouvoir des sorcières
Avec passion tu seras tourmenté
Et tu ne connaîtras jamais le plaisir ;
Tu coucheras, enveloppé de sommeil
Sachant que ton aimée est tout près
Toujours agonisant, jamais mort,
Sans la force de prononcer un mot,
Mais tu entendras sa voix
Tourmenté par les affres de l'agonie
Il n'y aura pas de rémission pour toi !
Car tu ne peux briser ma magie puissante
Et tu ne te réveilleras jamais de ce sommeil :
Encore et toujours tu y couleras
Comme la cire sur les charbons ardents.
Petit à petit tu mourras,
Mais éternellement vivant, sur un lit de douleur,
Fort sera ton désir, mais faible,
Sans la force de bouger ou de parler,
Avec tout l'amour que j'éprouvais pour toi
Je te fais souffrir à présent,
Car tout mon amour était perdu
Je vais te faire goûter ma haine brûlante,
Que ta douleur soit éternelle
Je suis vengée et en paix.
Mais Tana, qui était beaucoup plus puissante que la sorcière, ne pouvait
toutefois pas briser le sort, qui le tenait prisonnier dans le sommeil, mais
elle prit toute sa douleur (il la voyait dans ses rêves) et pendant qu'elle le
tenait dans ses bras elle chantait ceci :
La chanson de
Diane (le contre sort)
Endamone, Endamone, Endamone !
Par l'amour que j'éprouve,
Que j'éprouverai toujours, jusqu'à ma mort,
Je mets trois croix sur ton lit
Je prends trois châtaignes sauvages, (*)
Je les cache dans ton lit
Puis j'ouvre grand la fenêtre
Pour que la lumière de la pleine lune puisse entrer
Et éclairer un amour si clair et si lumineux,
Et j'adresse mes prières à elle, là haut,
Pour que notre amour soit un ravissement
Et que son feu emplisse nos coeurs,
Qui, pleins du plus profond amour, ne se sépareront jamais
Et je lui demanderai une autre chose !
Quiconque voudra être aimé
Et qui aura mis son amour entre mes mains
Je serai toujours à ses côtés pour l'aider.
(*) Marrons d'Inde. Une puissante magie contre le mal, également efficace contre
les rhumatismes etc... Les trois châtaignes doivent venir d'une seule bogue.
Et ainsi la déesse put faire l'amour avec Endamone comme s'ils avaient été
éveillée (en fait ils communiquaient en rêves). Et ainsi en est il toujours
aujourd'hui, quiconque voudrait aimer quelqu'un qui dort, peut avoir recours à
la merveilleuse Tana, et mener à bien son projet.
Cette légende, bien que ressemblant par bien des points au mythe classique, est
en fait mêlée de pratiques sorcières, qui, si on faisait des recherches,
apparaîtraient comme aussi anciennes que le reste du texte. Ainsi l'intestin de
mouton –qui ici est utilisé à la place de la pochette en laine rouge, qui est
employée en Magie- les rubans rouge et noir, la joie et la douleur entremêlées –
la plume (de paon) ou penna maligna – le poivre et le sel, qui apparaissent dans
beaucoup d'autres sorts, mais toujours pour apporter le mal et causer la douleur
(*)
Cela n'a jamais été prouvé, mais c'est une réalité : Keats, dans son poème sur
Endymion, semble ignorer tout l'esprit et la signification de l'ancien mythe,
alors que dans cette chanson sorcière ils sont si minutieusement développés. Le
principe de base est qu'un magnifique jeune homme est embrassé durant son
sommeil par une Diane prétendument chaste.
Le très ancien mythe traite de la lumière et de l'ombre, du jour et de la nuit,
de la naissance des 51 (à présent 52) semaines de l'année. Ce sont Diane, la
nuit, et Apollon, le soleil ou la lumière sous toutes ses formes. Il parle de
faire l'amour durant le sommeil, ce qui, quand cela arrive dans la vraie vie,
est généralement le fait d'un individu qui, sans être particulièrement modeste,
souhaite préserver les apparences. Entre personnes consacrées on tenait le
personnage de Diane (pour lequel elle fut amèrement outragée par les pères de
l'Eglise) pour une magnifique hypocrite qui poursuivait son amour dans le
secret.
« et comme la lune couchait avec Endymion ainsi firent Hippolyte et Verbio »
(à ce sujet le lecteur peut consulter Tertullian « de falsa religione »
lib.ii.cap.17 et
Pico de Mirandula « la strega »)
Toutefois nous trouvons ici une idée ou un idéal inhabituel et très
significatif, dans l'acceptation d'une « lune claire et froide » prétendument
chaste, qui, avec ses rayons de lumière s'introduit dans la nuit la plus
profonde et se saisit des mystères occultes de l'amour. Ainsi Byron a –t-il eut
l'idée originale que le soleil ne voit jamais la moitié des actes interdits,
alors que la lune en est témoin ici, et ceci est mis en valeur dans le poème
sorcier italien.
« le soleil se couche et la lune jaune se lève
dans la lune le diable est prêt à nuire,
quiconque la considère comme chaste, lui
lui a trop vite donné ce qualificatif à mon avis :
il n'y a pas un jour
assez long, même pas le 21 juin,
qui voie autant de choses indicibles
que ne le fait la lune en trois petites heures »
(Don Juan)
La lune est
clairement la protectrice d'un amour secret et remarquable, et est présentée
comme la déité qui est particulièrement indiquée pour ce jeu de l'amour.
Celui qui l'invoque dit que les fenêtres sont ouvertes, pour que les rayons de
lune puissent atteindre le lit, parce que notre amour est beau et lumineux....
Et je la prie de nous donner un grand ravissement (sfogo). La lumière
tremblotante et pleine de mystère de la lune, qui semble couvrir la nature
silencieuse d'intelligence et d'émotion, et la réveiller à moitié –transformant
les ombres en pensées, et donnant à chaque arbre et chaque pierre une forme
humaine, forme qui pourtant, bien que tremblant et respirant, est toujours
endormie et en train de rêver – ne pouvait pas échapper aux grecs et ils
l'exprimèrent comme Diane embrassant Endymion.
Mais, comme la nuit est le moment consacré aux secrets, et parce que la Diane
des mystères était la Reine de la nuit, qui portait la lune montante, et la
détentrice de toutes les choses secrètes, y compris les « doux péchés secrets et
vices aimés » il se rattache à ce mythe bien plus qu'il n'y paraît au premier
coup d'oeil. Et dans la même mesure où l'on considère Diane comme la reine de
toutes les sorcières émancipées et de la nuit, voire même comme la Vénus-Astarte
nocturne, il faut considérer l'amour pour le bel endormi comme sensuel, et
cependant sacré et allégorique. Et c'est vraiment dans ce sens que les sorcières
en Italie, qui se considèrent avec raison comme ses héritières, ont préservé et
compris ce mythe.
C'est la reconnaissance d'un amour secret et interdit, avec la force
d'attraction qu'exerce sur toute chose la lumière de la lune dans l'obscurité,
avec la magie du surnaturel des Elfes et des Sorcières, une romance, combinée en
une forme unique, la Magie de la Nuit.
« Un silence dangereux règne en cette heure,
une paix, dans laquelle l'âme toute entière
peut s'ouvrir, sans le pouvoir,
de réobtenir totalement son self contrôle !
La lumière argentée, nimbant arbre et tour,
Couvre le tout de douce beauté,
Et pénètre également le coeur, dans lequel elle laisse
Une langueur d'amour qui n'aura jamais de paix »
Voici ce qu'il faut comprendre dans le mythe de Diane et Endemion. La passion,
le secret, et l'interdit deviennent divins ou esthétiques (ce qui, pour les
grecs était une seule et même chose). C'était la magie des eaux volées, qui
étaient suaves et furent intensifiées par la poésie. Et il paraît remarquable
que cela fut préservé de cette manière là par les sorcières italiennes.
retour