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Si les Sorcières ne volent plus
Le paganisme contemporain et les solanacées
par Chas S. Clifton
version
française
Tof
En 1966, lors du solstice d’été, Robert
Cochrane (le nom magique de Roy Bowers), une figure importante du retour de la
sorcellerie en Angleterre, s’est donné la mort par absorption d’un cocktail de
somnifères, whisky, et belladone. Certains ont parlé de suicide lié à un
désordre mental, des amis à Cochrane pensaient plutôt à une communion rituelle
avec les Dieux, alors que d’autres encore penchaient plus pour un sacrifice
délibéré sur le modèle du Roi Divin. Ceux qui le connaissaient le mieux voyaient
ce suicide comme la suite de son divorce et la fin d’une histoire d’amour.
Quelles que soient les causes de la mort de Cochrane, son influence a persisté.
Sa correspondance, au cours des années qui ont précédé son décès, avec un jeune
militaire américain a influencé plusieurs traditions américaines en particulier
« 1734 » Roebuck et la Moshsian Tradition. Doreen Valiente qui a travaillé avec
Cochrane le décrit comme « peut être la plus puissante et talentueuse
personnalité de la sorcellerie contemporaine ».
En un sens, Cochrane est lié aux mésaventures qu’ont connues les utilisateurs
actuels des solanacées enthéogènes. Comme la tomate, la pomme de terre, les
haricots, les poivrons, la famille des solanacées comprend aussi une variété de
drogue dont, par exemple, le tabac. Parmi les solanacées on trouve plusieurs
plantes utilisées en magie et chamanisme de l’Asie à l’Amérique. Parmi elles ont
peut citer différentes espèces de datura, la belladone, la mandragore et la
jusquiame.
En Amérique, aucune de ces plantes n’est illégale, on en trouve parmi les
plantes ornementales et elles sont utilisées dans un usage pharmaceutique ainsi
que pour la recherche génétique
La mot enthéogène, qui signifie « trouver le divin en soi » fut développé par
trois écrivains : R. Gordon Wasson, Carl A.P. Ruck, et Jonathan Ott. Ott par
exemple écrit que l’utilisation du mot enthéogène est « étymologiquement et
culturellement approprié et sans connotation négative » si on le compare à des
mots comme « narcotique » et « psychédélique ».
La mort de Cochrane est le reflet de toute une série d’expériences avec les
solanacées qui ont été associées historiquement avec la sorcellerie européenne
selon les minutes des procès en sorcellerie des 15, 16 et 17è siècle. Selon ses
proches, Cochrane a fait d’autres expériences moins dangereuses d’utilisation de
recette « d’onguent de vol ». Je dis que cet « onguent de vol » (et les autres
préparations à base de plantes) représente un lien, vérifiable de manière
significative, aux anciennes pratiques chamaniques européennes – peut être ce
qu’il y a de plus proche de « l’ancienne religion » de Margaret Murray, mes
recherches montrent que les néo-païens nord américains et britanniques les
délaissent. Des historiens des religions comme Huston Smith disent pourtant que
l’usage rituel de ces substances est à un certain degré essentiel, en nous
mettant en contact avec la « sauvagerie sacrée » au cœur de ces traditions
modernes basées sur la nature. Sharon Devlin une sorcière californienne a dit à
Margot Adler dans les années 70 : « les onguents de vol furent utilisés
autrefois. Nos ancêtres utilisaient des drogues. Franchement, la plupart de
païens et des sorcières se trompent…. je veux que les gens ouvrent leurs yeux.
Les drogues…. Sont une partie essentielle des rites magiques.
Comme le note fort justement Devlin, les enthéogènes de la famille des
solanacées sont anciens et on en trouve presque sur toute la Terre. En
commentant la représentation de la datura dans l’art de l’Égypte pharaonique
l’ethnobotaniste William A. Emboden Jr écrit : Ses propriétés psychoactives sont
extraordinaires, et une des utilisations les plus courante de l’expérience de la
Datura et le vol mystique, une sensation de sortie de son corps.
La mention par Emboden de vol nous mène aux solanacées que l’on retrouve dans
les « onguents de vol » de la période des bûchers ? Au cours du 16è siècle, des
physiciens sceptiques ont fait des expériences à partir des recettes d’onguents
données par des sorcières. Ces hommes, comme par exemple le physicien Andres de
Laguna, ont donné un argument matérialiste contre les affirmations théologiques
des tribunaux séculiers et religieux. Contre la croyance que la sorcellerie
était un rassemblement d’adorateurs du diable, les sceptiques ont montré que
l’onguent de vol induisait une stupeur où l’utilisateur était persuadé d’avoir
expérimenté le vol nocturne, des orgies de nourriture et de sexe… Ainsi les
poursuivre pour sorcellerie était une perte de temps.
Ce que Andres de Laguna et les autres critiques « rationalistes » des procès de
sorcières n’on pas vu, ou pas voulu voir, c’est l’aspect théologique de
l’utilisation des enthéogènes. Ces préparations étant présentées comme risquées
par nature, celui qui souhaitera « planer » à des fins récréatives se tournera
plutôt vers l’alcool. Comme l’écrit le botaniste néerlandais Peter A. G. M. de
Smet : « L’essence de la messe catholique ne peut être assimilée par le
paroissien, le vin de messe est préparé à partir de Vitis vinifera L. (Vitaceae)
qui contient environ 13 % d’une substance conduisant à l’ivresse (l’alcool
éthylique) avant d’être dilué par le prêtre ».
Différentes recettes parcellaires d’onguent de vol nous sont parvenues: dans les
années 70, le botaniste et écrivain danois Harold A. Hansen annonça que seules
seize recettes pouvaient être fiables. La fiabilité ne signifie pas sécurité;
parmi les historiens et les occultistes ayant testé sur eux même ces recettes,
au moins l’un d’entre eux en plus de Cochrane, Karl Kiesewetter est mort des
suites d’une overdose. La dangerosité de ces recettes combinée avec la tradition
pluri centenaire de leur utilisation est le meilleur argument d’une survivance
d’une « ancienne religion » prè-chrétienne. Sans une sorte de tradition orale de
la préparation et des dosage, similaire à celle des chamans ayahuasca d’Amérique
du Sud, le risque aurait été bien trop grand. Les journaux médicaux parlent
parfois de passage aux urgences et parfois de mort liée à l’usage de datura ou
d’autres solanacées.
Le néo-paganisme a grandi au cours des années 60 et 70 psychédéliques, où l’on
était fasciné par les enthéogènes, après l’avoir été au cours des années 50 par
la mescaline, le LSD et d’autres substances étaient testées par de rares
psychothérapeutes et certains de leur patients ainsi que par quelques
chercheurs. Au même moment, en partie suite à la popularité des livres de Carlos
Castaneda (qui eux-mêmes suivaient les textes d’Allen Ginsburg et William
Burroughs’s sur l’ayahuasca) certains « psychonautes » se sont intéressés aux
drogues naturelles, suivant en cela les observations faites au milieu des années
70 par un médecin de Caroline du Nord : « Le retour à la nature prôné par la
contre culture fut fortement décrié. Aux côtés des drogues, de la colle et d’un
nombre considérable de composants organiques non médicaux (p. ex. le LSD et
d’autres enthéogènes synthétiques) la muscade, l’Herbe aux chats, la Prunus
serotina ( NDT une plante qui ne pousse qu’en Amérique) et toute une série de
graines et d’herbes ont souvent été utilisés, souvent avec des résultats
désastreux par une nouvelle génération de testeurs. »
En dire plus sur l’utilisation des enthéogènes contemporains a été compliqué par
la guerre contre les drogues appliquée à différents degrés en occident et qui a
gêné l’étude des enthéogènes. Cette attitude change remarque le Dr. Albert
Hofmann, le nonagénaire suisse inventeur du LSD dans une interview récente : «
après des années de silence, il y a eu certaines études scientifiques sur les
drogues « psychédéliques » en Suisse en Allemagne et aux Etats-Unis. »
On s’intéresse aux anciennes cultures païennes, on étudie des langues mortes ou
marginales comme le Norois ancien ou l’Irlandais, on étudie les sites
archéologiques et les artefacts et les textes, et on essaie de reconstituer le
passé, mais on ignore l’utilisation rituelle des enthéogènes. Gerald Gardner,
qui a écrit le premier livre sérieux sur le renouveau de la sorcellerie, «
Witchcraft Today » en 1954 commence ainsi son second chapitre : « il y a
toujours eu des sorcières » avec une description de la sorcellerie qu’il fait
remonter au Paléolithique. Là non plus Gardner ne dit pas que les enthéogènes
ont joué un rôle important dans la religion.
Gardner ne peut ignorer « l’onguent de vol », qui est attesté historiquement, il
dit dans Witchcraft Today que » les sorcières du moyen âge connaissaient «
certains encens » propices à la clairvoyance et à la vision spirituelle. Au
moyen âge, de nombreux ingrédients venaient du moyen orient, mais à la base ces
herbes étaient indigènes et certaines d’entres elles étaient des poisons… .
L’utilisation de poisons pour entrer en transe ne blesse personne sinon
vous-même ».
Au sein de la lignée initiatique gardnerienne, il y a toujours de nos jours une
petite utilisation rituelle d’ enthéogènes. Un membre âgé, né au Pays de Galles
et vivant actuellement au Canada dit : « une des marques distinctives de la wica
gardnerienne est le manque de connaissance des plantes… Ce qui est fait de nos
jours est plus proche de l’expérimentation générale… Bowers (Robert Cochrane)
fut un de ceux qui fit ce genre d’expériences. Ronald Hutton historien à
L’université de Bristol et auteur de « The Triumph of the Moon: A History of
Modern Pagan Witchcraft » a dit que la seule preuve que Gardner et les siens
utilisaient des champignons ou un autre enthéogène vient de ce qu’à dit Louis
Wilkinson au sujet du New Forest coven de Gardner et rapporté par Francis King
dans « Ritual Magic in England ». Contre cette affirmation, Hutton a dit: «
Cette hostilité à la prise de drogue a été exprimée par Gardner dans la partie
concernant les huit voies de la magie du Livre des Ombres. Ce peut bien sûr être
le reflet de désillusions plus que d’une opposition de toujours, mais on
constate aussi cette opposition dans son autobiographie fantôme « Gerald
Gardner: Witch » où il montre qu’il en a vu les effets dans les colonies.
Cochrane et « Taliesin » étaient plus indomptés ».
Comme on peut le lire dans ses lettres et dans les souvenirs de ceux qui l’ont
connu, Robert Cochrane avait une vision moins dogmatique que Gerald Gardner de
la sorcellerie. Comme l’a dit Cochrane lui-même il était sous « influence
poétique » et affirmait être l’héritier des gitans, des chuchoteurs et d’une
lignée de sorciers ruraux anglais.
Il ritualisait dans des grottes ou au sommet des collines, et on trouve dans ses
lettres des références à l’amanita muscaria et au vin de belladone. Selon ceux
qui l’on connu, sa mort a découragé les membres de son coven à utiliser les
enthéogènes traditionnels, ils se sont tournés vers des méthodes physiques
d’induction de la transe au travers de rituels, de danse et de masques.
Les païens nord américains se montrent timides face aux enthéogènes eurasiens (y
compris l’Amanita muscaria). Cette attitude est liée à la désapprobation de la
société au sujet des drogues illicites (même si les enthéogènes naturels sont
pour la plupart légaux), ou peut être est-ce lié aux conséquences de leurs
utilisations par certains néophytes. Les écrivains païens (les sorcières aussi
bien que les Asatru et les païens en général) emprunte les mots et les concepts
des anthropologistes comme Carlos Castaneda ou Peter Furst plutôt que ceux des
utilisateurs médiévaux ou modernes des utilisateurs des onguent de vol rejetant
ainsi toute imagerie chrétienne. Comme l’a écrit un des membres de la plus
importante mail list païenne : « Travailler avec une plante sœur est
probablement plus dangereux que d’essayer une drogue. Je ne pense pas que le
préjugé contre les drogues (dans la communauté païenne) n’est basé que sur un
malentendu… Je pense que c’est plutôt une manifestation d’une « conscience
tribale » qui permet de réaliser que c’est de la responsabilité de tous, et que
si une personne prend des drogues cela affectera aussi le reste ».
Plus simplement, le divorce entre le paganisme contemporain et les enthéogènes
traditionnels est plus le reflet de la rupture entre l’herbalisme médical et
culinaire et l’herbalisme chamanique, une séparation qui provient des botanistes
savants de la Renaissance. La botanique contemporaine s’inspire d’une tradition
établie au 16è siècle par le botaniste John Gerard qui a mené une croisade
contre la belladone et qui avertissait ses lecteurs ainsi : « Chassez cette
plante maléfique de votre jardin, de tous les endroits proches de votre maison,
ou de ceux où l’on trouve des enfants ou des femmes avec enfants, ses
magnifiques baies noires pourraient aiguiser leur appétit ». Jack Prairiewolf un
sorcier contemporain de l’Indiana affirme avoir une affinité spéciale avec la
belladone ou la mandragore dit : « Tous les païens (malheureusement) urbains de
ce monde ne connaissent pas les plantes ou les plantes vénéneuses en
particulier. Ces gens qui s’intéressent aux plantes se spécialisent dans les
herbes, les fleurs, les plantes comestibles, ou les arbres, etc... au lieu de
s’intéresser aux plantes au pouvoir envenimé. »
En vérité, le travail sur ce qu’on nomme « l’herbalisme magique » d’écrivains
populaires wiccas comme Scott Cunningham et Paul Beyerl nous met en garde contre
les enthéogènes végétaux. Un pratiquant de longue date de Berkeley en Californie
participait à une classe sur la fabrication de onguent de vol et m’a raconté que
même si les solanacées étaient évoquées, les recettes principales étaient à base
d’huiles essentielles et d’extraits de fleurs avec parfois un peu de jusquiame.
Une autre recette qui circule ne contenait pas de solanacées, mais l’armoise,
une plante qui traditionnellement aide à rêver, aussi bien que de la Scutellaire
et de la laitue sauvage.
L’intérêt pour les enthéogènes traditionnels est partagé par une minorité de
groupes norois ou sorciers qui se considèrent comme chamaniques. Selon l’asatru
Susan Granquist de Seattle les discussions sur les enthéogènes ne sont pas rares
sur sa mail list, ASATRU-L. Mais ce groupe est minoritaire dans la communauté
païenne ou sorcière, où selon Jack Prairiewol : « ce type de pouvoir dont on
discute ici n’intéresse pas la plupart des mouvements païens contemporains. Ils
n’aiment pas ce qui est sauvage ou en ont peur, et il en est de même pour tout
ce qui est noir…. Lorsque tu parles de l’utilisation magique des poisons
végétaux, les wiccas « bambi » coupent rapidement court. Ils préfèrent parler de
douceur et d’un monde plus léger. Montre leur une lueur de l’Ancienne Sauvagerie
et ils s’effraient. Ils vont hurler que travailler avec une plante qui peut être
vénéneuse est mauvais (même si la plupart des remèdes mal utilisés sont des
poisons). Je pense que cela provient en partie de notre société, et en partie
aussi de la peur de ce qui est si puissant et terrifiant. Je pense que ces
plantes sont là depuis des millions d’années pour certaines d’entres elles,
elles sont là depuis plus longtemps que la race humaine... . Certains néo-païens
ne peuvent pas l'admettre. »
Une autre raison qui explique que les païens d’Amérique du Nord n’emploient que
peu les enthéogènes est, selon moi, la forte proportion d’allergiques à toutes
sortes de produits. Cela explique aussi que de plus en plus souvent lors d’un
rituel on se passe un calice sans alcool.
On peut séparer les sorcières et autres païens qui parlent de plantes sœurs,
d’esprits, ou de fées de ceux qui disent comme les botanistes qu’il n’y a pas
d’esprit des fleurs, mais ont une attitude plus « médicale » où l’on dit par
exemple « la mandragore est bonne pour xxxx ; la myrrhe purifie, la noix de
muscade favorise les visions … »
Robert Brown et Jack Prairiewolf suggèrent que les païens urbains qui
s’intéressent aux plantes ne considèrent pas les plantes qu’ils utilisent comme
des êtres vivants ayant un cycle de vie, mais plus comme des ingrédients «
utilisés pour xxxx » comme le font Cunningham et Beyerl dont il a été question
plus haut.
A partir de cela et d’autres entretiens, je suggère que les païens contemporains
s’intéressant aux enthéogènes ont une approche plus « chamanique » que «
cléricale » et comme le dit Robert Brown ils se décrivent eux même comme plus
proches de la nature que de la société humaine. Ces gens auront plus tendance à
lire les écrits des anthropologues que des fictions où les reconstructions
historiques dont sont friands les Néopaïens d’Amérique du Nord.
Ces païens qui utilisent les enthéogènes traditionnels n’en parlent pas
facilement. Trop de ces substances ont été assimilées à des « drogues légales »
dans une société pour qui les drogues sont des pilules et des cachets.
L’utilisation d’enthéogènes traditionnels avec ses à-côtés parfois négatifs
n’est pas revendiquée par les autoproclamées sorcières. Malgré leur récupération
des victimes du « temps des bûchers », la majorité des sorcières et autres
païens contemporains tournent le dos à ce qui peut être le lien vers une des
plus anciennes pratiques chamaniques: l’utilisation des enthéogènes
traditionnels eurasiens.
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