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Esbat de Sorcières
L'article suivant, a été écrit par Robert Cochrane et publié dans Nouvelles Dimensions vol.2, n°10 en Novembre 64 (ou 65) 

 

Dans cet article il sera question d’une rencontre sorcière actuelle, c’est un mélange de fiction et de réalité car le rituel complet ne peut être décrit, mais fondamentalement ce qui est décrit reste exact pour les sorcières de Warwickshire. En outre il n'y a aucune exagération dans la description, l'auteur a essayé de décrire exactement ce que l’on ressent lorsque qu’on pratique ce type de rituel, qui n'est pas ce que l’on présente habituellement  au public lorsqu’on parle de sorcellerie et qui pourtant est pratiqué couramment dans certaines familles depuis des siècles.

Il fait froid, la brume s’élève de l’herbe humide alors que nous marchons vers les grottes. Au-delà des collines, quelque part vers l’est un renard glapit son désaccord à notre intrusion dans le monde nocturne. Dans le domaine silencieux d’Hécate un milliard d’insectes tisse les toiles de la destinée. Nous nous sentons comme des voyageurs d’un temps révolu et plus glorieux, agissant avec prudence, marchant silencieusement parmi les haies. Le chaudron dans le sac à dos de Peter émet un son sourd lorsqu’un des couteaux le cogne. Il s’arrête et rééquilibre sa charge puis nous désigne un point vers les collines.

Le vent bruisse dans les feuilles des arbres tandis que nous commençons notre ascension vers les grottes. Nous sommes sept, six hommes, une femme, les pieds glissants sur l’herbe humide de rosée et habitée par les insectes, nous enfonçant dans la terre sous notre propre poids. En bas dans la vallée, le 20ème siècle étire ses longues routes sombres, les lampadaires trouent la nuit pour un bref instant encore, avant de disparaître dans un dernier soupir de vie mécanique. Tournés vers l’éblouissante lumière lunaire nous pouvons voir les rochers qui cachent les grottes. Notre guide s’arrête, fait un tour et revient vers nous : «soyez prudents ici, les accotements sont traîtres »

Son visage est inexpressif dans la lumière de la lune. Joan me prend la main et nous avançons prudemment dans la pénombre. Des rafales de vent nous soufflettent et la sensation de vide sur notre gauche nous angoisse. Puis nous nous trouvons à l’abri du vent, derrière les rochers. Arthur, notre guide, semble soudain disparaître à notre vue, avalé par la lumière blanche d’une torche, puis sa voix nous arrive de sous le sol, faible et étouffée.

« C’est bon, vous pouvez descendre ». L’un après l’autre mes compagnons se faufilent dans l’entrée de la grotte, glissant sur le sol calcaire mouillé. Joan s’accroupit de jolie manière et les suit, tenant toujours ma main, comme pour contre balancer son impétuosité. Je me laisse glisser derrière elle. Nous déplions nos corps et nous tenons debout, les torches s’allument pour la première fois depuis le début de cette marche et la lumière est renvoyée par les parois crayeuses, se reflétant dans les flaques sur le sol. A l’abri du vent, et sous la terre, le silence devient soudain oppressant, et tout le monde se met à parler en même temps, comme pour se débarrasser de la tension accumulée pendant la marche et de la crainte de l’inconnu.

Je laisse glisser le sac de mon dos et constate avec dégoût qu’il est couvert de craie humide. Je l’ouvre et cherche ma boussole, puis je cherche le nord. Les autres commencent aussi à sortir leur matériel de leurs sacs, me balançant du petit bois quand ils le trouvent. Je commence à préparer le feu, le mouillant avec de la paraffine apportée spécialement pour l’occasion. Quand les flammes jaunes s’élèvent elles semblent donner vie à l’endroit, le rendant amical soudain, un million de gouttes d’eau devient dans la lumière comme autant de diamants.

J’empile encore un peu de bois puis me recule pendant que les flammes descendent. La fumée fait des volutes au plafond et les garçons éteignent les torches. Nous nous tenons autour du feu, le temps de nous réchauffer, puis nous nous dévêtons. « Trace le cercle » dit Joan à Blackie. Il est en train d’ôter son pantalon, et se tient sur une jambe, comme une cigogne, essayant d’enregistrer ce qu’elle vient de dire. « oui, dès que je me serais changé » Il se dépêche de finir, et s’approche un peu plus du feu tandis qu’il revêt l’habit de sorcière, et s’enroule dans son manteau. Il se dirige vers le centre de la grotte et commence à tracer le cercle avec son couteau. Les autres s’affairent tous à leur tâche en silence.

Joan et moi sortons les outils du sac à dos, les rassemblant et les nettoyant soigneusement, puis nous les étalons dans une anfractuosité qui sera notre desserte. John et Peter assemblent la bannière, plaçant les symboles mystiques aux quatre points cardinaux grâce à la boussole, soulevant des nuages de craie lorsqu’ils fichent les symboles dans le sol. Blackie s’étire, le visage noirci par l’effort. « que devrons nous dire si nous nous faisons arrêter ? » demande-t-il à la cantonade. « que nous sommes des archéologues, évidemment » répond John. Blackie rit, puis recommence à creuser. Nous travaillons assidûment jusqu’à avoir recréé Caer Ochlen sous terre. Le graal et la coupe reflètent les flammes du feu. Je construis le trépied et y accroche le chaudron. Il se balance dans la chaleur.

Joan apporte le vin et le verse dans le chaudron. Une bonne odeur envahit les lieux quand le vin froid rencontre le métal chauffé du chaudron. « ça sent bon, qu’est ce qu’on mange ? » demande Peter, souriant à son propre humour. Joan rit tandis qu’elle ceint sa taille de la corde, plaçant soigneusement les 7 noeuds. Nous voilà tous vêtus de noir, ajustant nos manteaux, nous sentant humbles et pauvres, le début de toute puissance magique. Encore une chose à faire, je prends le crâne et y plante l’épée, maintenant le crâne juste sous la garde. Je me dirige vers le centre et plante la lame profondément dans la terre.

Le moment est venu de commencer. Joan jette des graines et de l’encens dans le feu, puis se bénit elle-même, d’abord son oreille gauche, puis son oeil gauche, puis son front, son oeil droit, son oreille droite. Elle se tourne, sa silhouette auréolée par les flammes, touche sa bouche, son sein droit, et finalement sa hanche gauche.

Nous nous sommes regroupés autour d’elle, suivant les gestes de bénédiction, chaque action accompagnée par une prière à Dieu. Les anciens mots s’élèvent dans l’ombre de la grotte, les six voix de basses des hommes et celle de Joan se faisant écho. Le feu brûle et Joan s’avance, me prenant le Graal des mains. Le tenant au-dessus d’elle, elle le présente aux cieux et à la Lune, les herbes et les pommes flottent sur l’eau, l’ombre de la grotte semble tout englober.

J’entonne les mots du grand chant, et le silence de la nuit se remplit de vie. Joan rabaisse le Graal et souffle dessus, puis elle vide son contenu dans le chaudron. Nous nous levons et nous approchons, en demi-cercle, nos capuchons rejetés en arrière, et nous la suivons alors qu'elle débute la danse du labyrinthe face à la potion bouillante. Puis nous dansons en rond autour du feu. Nous nous arrêtons et elle trempe une louche dans le pot et nous le passe à chacun, et nous mangeons les fruits de la vie.

Joan seule fait trois tours, faisant tourner la louche autour d’elle, puis la replonge dans le chaudron. Nous sortons nos couteaux et les plantons dans le sol, puis dansons une fois encore autour du feu. Je mène la danse jusqu’à ce que nous ayons totalement entouré le cercle. L’huissier, qui est le dernier, prend le chaudron et verse son contenu dans la rigole qui entoure le cercle. Un ruisseau naît autour de nous, et le liquide rouge coule et forme un circuit complet, repoussant la cendre sur le côté, s’enroulant autour des branches de saule et de sorbier.

Je passe le fossé et me tiens face à l’épée et au crâne. Levant ma main gauche je fais les signes avec mes doigts, puis rapidement je fais les gestes qui signifient tant pour une sorcière, les mains claquant sur mes jambes, et mon corps mimant les anciennes légendes. Le reste suit. Joan lance le gâteau sur le sol, juste à la porte du cercle, et finalement nous faisons tous un pas par-dessus la barrière qui sépare le vivant du mort.

 « UEIOA » cinq doigts levés. « UEIOA » frapper la cuisse gauche puis en avant avec les chevaux sauvages et à travers le cercle d’argent. Nous avons commencé à marcher autour de l’enceinte, tenant l’anneau en l’air, puis finalement l’abaissant au-dessus du crâne. Nous tournant, nous déposons nos bâtons sur le sol, formant le modèle du rituel, et commençons à danser en rond. En rond encore et encore, en silence, les doigts suivant le modèle que forment les sept noeuds faits dans la corde. Toute notre pensée et notre volonté sont dans notre travail, les capuchons des manteaux rabattus sur nos yeux, nous visualisons l’énergie qui passe d’une partie de notre corps à une autre, les sensations de changements sont comme des couleurs qui défilent derrière nos yeux clos.

Dans les brefs moments où notre concentration baisse la grotte a l’air de tourner autour de nous, et aussitôt nous retournons dans l’obscurité de nos capuchons et à notre travail. La fumée augmente en même temps que le feu baisse… et nous avons tous l’air d’avoir du mal à respirer, nous étouffant presque dans cette atmosphère confinée. Puis soudain c’est comme si on respirait de l’air glacé. L’énergie a été transmutée. Tout de suite après on a la sensation d’un vent froid qui tournerait autour de nos chevilles, attirant le pouvoir physique hors de nos corps. La peur nous envahit et chacun de nous a l’impression que quelqu’un nous regarde, c’est le résultat des forces que nous avons invoquées.

La sensation de peur s’intensifie jusqu’à ce qu’il nous faille faire appel à chaque parcelle de notre volonté pour ne pas fuir. Des bruits nous parviennent de partout dans la grotte et une brève seconde je reviens totalement à l’état de conscience, avant de me reprendre et de retourner à mon travail. Je ne me trouve plus sur le sol de la grotte, mais je suis dans les airs. Mon corps est partout à la fois, une sensation de désorientation m’emplit, et je perds la conscience de mon corps. Je flotte dans le vide mon corps tressautant mécaniquement.

C’est comme si chacun dans le clan faisait partie de moi. Je les ressens tous. J’ai la très forte impression que quelqu’un est debout à la place qu’occupe le  crâne. Immédiatement nous commençons à envoyer notre pensée vers lui, sondant, questionnant, la sensation étrange ne cessant de grandir. Nous savons qui il est.

Mon coeur bondit tant de joie que de crainte. Nous intensifions notre concentration jusqu’à ce qu’elle devienne comme un pont d’acier, toute entière  dirigée sur lui. Nous voyons des lumières vertes qui clignotent autour du crâne. « Maître, maître » Je sens le groupe qui l’appelle. Des spirales bleues apparaissent au centre. Nous continuons nos efforts jusqu’à ce que cela devienne douloureux. Les lumières se réunissent pour former une silhouette d’homme, vêtue d’un manteau comme le nôtre. Le pouvoir émane de nous par vagues. Une sensation d’excitation efface notre fatigue, il exsude la force et la sagesse. Nous le saluons.

Nous revenons à nous dans cette grotte, le feu à présent presque éteint. Nos membres sont comme transpercés de millions d’aiguilles, nous sommes épuisés, nous arrêtons de marcher. Joan fait une prière de remerciements, et nous brisons le cercle, remettant chaque chose là où elle était. C’est fini à présent, nous nous asseyons un petit moment, nous réchauffant auprès du feu mourant, car nous sommes tout à la fois frigorifiés et épuisés, nos esprits engourdis. Blackie rajoute du bois dans le feu, l’attisant tant et si bien que les flammes à nouveau dégagent une douce chaleur.

Nous cherchons à manger et à boire dans les sacs à dos et commençons à festoyer. Peu à peu nous nous sentons revigorés, puis pleins d’énergie à nouveau. Les discussions vont bon train, il y a des rires, et nous étirons nos membres avec délectation devant les braises. Six hommes, une femme, tous dévoués les uns aux autres, et, par-dessus tout, dévoués à nos Dieux. Nous discutons de diverses choses, comment faire ceci ou cela… les femmes, comment les recruter, mais elles ne s’intéressent plus à la sorcellerie aujourd’hui…

Le groupe est bancal, pas de femmes, pas d’équilibre… Nous parlons et mangeons, et finalement nettoyons tout et préparons notre voyage de retour.

Fatigués mais régénérés, salis par la terre de la grotte, mais le coeur pur. A l’aube nous marchons à travers les champs, pour retourner aux voitures. Un policier surgit hors de l’ombre. Excusez-moi... vous vous êtes garés dans un endroit dangereux...... Qu’avez vous dans vos sacs ? Nous les vidons et donnons des explications Une expression de dégoût se lit sur le visage de l’agent et nous indique clairement ce qu’il pense. Des questions et toujours plus de questions, des malentendus, toujours des malentendus. Par les Dieux, que devons nous souffrir, nous, pauvres sorcières.

retour

 

 

Dans la joie nous nous sommes réunis, dans la joie nous nous séparons et dans la joie nous nous retrouverons!