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Le Diable
par J Sharman-Burke et L Greene (merci à
Xavier)
Sur la carte du Diable est dessiné un satyre, créature hybride mi-homme,
mi-bouc, dansant au son d’une flûte qu’il tient dans sa main gauche. Sa main
droite est refermée sur le bout de deux chaînes qui vont enserrer le cou de deux
figures humaines dénudées. Ces figures, un homme et une femme, portent elles
aussi de petites cornes comparables à celles du satyre ; leurs mains et leurs
pieds ne sont pas entravés, mais ce sont surtout les chaînes de la peur et la
fascination exercée par la musique qui font danser ces personnages. La scène se
déroule dans l’obscurité d'une profonde caverne.
Dans la mythologie, le boue est synonyme de lubricité et d'obscénité. On le
considère comme un animal sale. Mais c’est aussi le bouc émissaire, la personne
ou la chose sur laquelle les gens projettent leurs propres défauts afin
d’obtenir une meilleure d’image d’eux-mêmes.
La caverne sombre et sans ouverture signifie que Pan réside dans la partie la
plus inaccessible de l’inconscient. Seule une crise peut percer le rocher et
creuser le passage qui mène à sa chambre secrète.
Les figurines qui dansent sont libres (du moins Si elles le veulent) de quitter
leurs chaînes : leurs mains ne sont pas liées. En fait, rester prisonnier du
Diable est une question de volonté qui dépend de la conscience.
Voici que s’avance à présent le grand dieu Pan, que les Grecs surnommaient le
Grand Tout. Dans la mythologie, Pan naquit des amours d’Hermès avec une nymphe,
fille de Dryops. A sa naissance, il était si laid — avec des cornes, une
barbiche, une queue et des pattes de bouc — que sa mère s’enfuit en hurlant.
Hermès emmena son fils dans l’Olympe pour amuser les dieux. Pan hantait, les
forêts et les pâturages d’Arcadie et personnifiait l’esprit sauvage, phallique
et fertile de la nature. Mais il pouvait également se rendre utile auprès des
hommes, en gardant leurs troupeaux ou leurs ruches. Il prenait part aux ébats et
aux jeux des nymphes de la montagne, et aidait les chasseurs à trouver le
gibier. Un jour, il poursuivit la chaste nymphe Syrinx jusqu’à la rivière Ladon,
où la belle se changea en roseau pour échapper à son étreinte. Ne pouvant plus
la distinguer du reste des plantes, Pan cueillit au hasard une brassée de
roseaux et en fit une flûte, connue sous le nom de « syrinx » ou « flûte de
Pan ».
De « Pan » vient aussi le terme de « panique », car ce dieu aimait beaucoup
effrayer les voyageurs solitaires. Les autres dieux le méprisaient mais
utilisaient quand même ses pouvoirs : Apollon, à force de cajoleries, obtint de
lui l’art de la prophétie, et Hermès copia une de ses flûtes et la vendit à
Apollon. C’est ainsi que le brillant Apollon reçut, de façon illicite, la
musique et la prophétie !
Sur le plan intérieur, Pan, le Diable, est le symbole des instincts les
plus rustres de la nature humaine. Parce qu’on l’adorait au sein des grottes et
des cavernes avec des sentiments de peur, son image suggère en nous quelque
chose qui à la fois nous effraie et nous fascine — les pulsions sexuelles brutes
que nous définissons comme diaboliques en raison de leurs aspects convulsifs.
Depuis le début de l’ère chrétienne, Pan a été identifié au Diable, avec son
sourire grimaçant, et méprisé des êtres « spirituels ». Plutarque raconte que,
sous le règne de l’empereur Tibère, un marin qui faisait voile vers les îles
Échinades entendit une voix lui crier par trois fois : « Quand tu atteindras
Palodes, proclame que le grand dieu Pan est mort ! » Au même moment, le
christianisme naissait en Judée. Mais on peut penser que Pan n’est pas mort,
puisqu’il est présent parmi les arcanes majeurs du Tarot. Disons plutôt qu’il a
été relégué vers les confins les plus reculés de l’inconscient, représentant
désormais ce qui nous fait le plus peur et le plus honte tout en nous maintenant
dans un esclavage fasciné.
Le dieu Pan symbolise le problème de la honte que nous avons de notre corps et
de nos pulsions sexuelles, et plus particulièrement de ces pulsions que la
psychanalyse moderne tente de percer à jour : les pensées incestueuses,
l’attrait des fonctions physiques, les sentiments d’infériorité ou la sensation
d'être méchant, laid, sale, etc. Même la personne la plus « libérée »
sexuellement fait tôt ou tard l’expérience de ce type de gêne ou de honte à
propos du corps. On trouvera toujours quelque chose de noble et de romantique
dans les fureurs du lion (la Force) ou des chevaux sauvages (le Chariot), mais
on aura du mal à se prononcer dès qu’il s’agira de Pan. Pourtant, il n’est pas
méchant, juste un peu fou, amoral et d’une nature totalement rustre. Seuls les
humains, paralysés de terreur et de fascination, créent ce genre de problème. La
carte du Diable implique des blocages et des inhibitions, d’ordre sexuel le plus
souvent, qui proviennent de notre manque de compréhension du dieu Pan en nous.
Pan est la vie même du corps, avec ce qu’elle a d’impérieux. L’énergie que nous
déployons pour garder cachée cette vie honteuse au fond de la caverne est autant
d’énergie perdue pour la personnalité tout entière. Si nous acceptions de
reconnaître l’existence de Pan, nous pourrions alors décupler notre puissance.
Ainsi, le Fou doit apprendre à faire face avec humilité à la part « honteuse »
de lui-même, sous peine de n’être jamais délivré de ses propres peurs, de se
prendre pour un être supérieur et de toujours projeter sur autrui sa propre
bestialité, ce qui entraîne préjugés, étroitesse d’esprit, racisme, etc.
Sur le plan divinatoire, la carte du Diable annonce la nécessité de
prendre conscience des aspects obscurs, inavouables et « veules » de la
personnalité. Le Fou se libérera en acceptant honnêtement la présence en lui de
Pan, et il pourra ensuite se servir des pouvoirs contenus dans ses peurs et ses
dégoûts de lui-même. Le Fou parvient ainsi au coeur du labyrinthe, où il est
confronté à ses propres ténèbres dans les ténèbres essentielles du corps : il
devient alors ce qu’il n’a jamais cessé d’être, c’est-à-dire simplement naturel
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