Le Soir
Ca il fallait s’y attendre ! Après une journée pareille, impossible de s’endormir. Qui a bien pu dire qu’être fonctionnaire c’était « la planque » ? Je le défie de passer 8 heures à la caisse ! Particulièrement un vendredi en plein été. Je hais définitivement nos clients. Ils sont pauvres, ne peuvent pas partir en vacances et viennent se venger à mon guichet. Ils font leur scandale, ça leur occupe le vendredi après midi et ça leur fait quelque chose à raconter pendant le week-end. Et moi je suis là, trop énervée pour trouver le sommeil. Les collègues diraient que c’est normal que nos clients soient nerveux car « c’est la pleine lune ».
Bon sang ! Fichez lui la paix à la lune. Moi je l’aime, beaucoup. Et cette pensée m’amène à me rendre compte que mon état de nerfs, non seulement freine mon endormissement, mais me met hors d’état de ritualiser. Et pourtant ! Nous sommes nuit de pleine lune, un vendredi et en plus nous sommes le 31 juillet !
Allez ma fille, secoue toi. Un bon bain aux huiles essentielles, avec quelques bougies flottantes, une tisane avec un peu de valériane, un peu de méditation allongée sur ton lit, et peut être pourras tu inverser la tendance ?
Je me souviens bien d’avoir fait couler le bain, je me souviens même d’avoir fait et bu la tisane, mais après…. Quand donc me suis-je endormie ? Car il a bien fallu que ça arrive, dans la mesure où maintenant, là, tout de suite, je viens de me réveiller ! Et d’ailleurs…. Qu’est ce qui a bien pu me réveiller ?
Je reste un instant attentive à mon environnement, c’est ma chambre, je la connais. Il fait sombre. C’est le silence…. Quoique…. A bien faire attention, non, ce n’est pas tout à fait silencieux. Je perçois un son, assez lointain. En tout cas pas très fort. Mais de là à me réveiller… Je me concentre jusqu’à réaliser que cela ressemble à un tambour que quelqu’un battrait d’une façon très régulière. Wouah ! on se croirait dans Jumanji ! Il faut que je tire ça au clair.
J’enfile rapidement un short et une brassière, une paire de sandales et je sors de chez moi. Il ne fait pas si sombre, la lune éclaire pas mal le paysage alentour. Je suis un peu déçue : pas d’indien devant chez moi. Il ne me reste qu’à trouver d’où vient le son et de me diriger vers lui. Peut être faut il y voir un appel ? « Avant » je me serai traitée de folle et je serais retournée me coucher. Mais depuis que j’ai été initiée à la sorcellerie, et que j’ai accepté d’ouvrir mon esprit je sais que tout peut arriver si on le veut, et je crois aux signes. Surtout aux signes…. Celui-ci ne peut pas être ressenti autrement que comme tel.
Et voilà l’ex-trouillarde de compétition qui part seule dans la nuit, à la recherche de la source d’un bruit de tambour, tout à fait improbable dans un village de 91 habitants qui se consacrent majoritairement à l’agriculture. Et un petit peu à critiquer leurs voisins …. Mais uniquement en journée, et certainement pas en battant le tambour !
Je me ferme à tout ce qui n’est pas ce son. Je sais qu’il n’est pas utile que je regarde où je pose les pieds. S’il a été décidé que ce son m’appellerait et que je devais le rejoindre, il a sûrement aussi été décidé que ce ne serait pas ce soir que je me prendrais les pieds dans une ornière et que je me ferais une entorse d’anthologie. La confiance. Celle qui me manquait « avant ».
Maintenant j’ai confiance dans mon avenir, confiance dans ma vie, toujours pas complètement confiance en moi… on ne se refait pas totalement du jour au lendemain !
Je sais que je peux apporter beaucoup aux autres, il faut encore que je me convainque que je peux m’apporter beaucoup à moi.
Le son ! Concentre toi sur le son, oublie tes pensées parasites ! Tu auras bien le temps demain !
Je me rends compte que j’ai déjà dû beaucoup marcher, car, en me retournant, je ne vois plus les lumières du village. Le son est à peine moins faible. Je continue.
Pourvu qu’il ne s’arrête pas. Je serais bien ennuyée ! Je ne sais ni dans quelle direction je suis partie, ni depuis combien de temps, et je suis tout à fait incapable de me diriger aux étoiles. Pas de marin dans mes ancêtres…. Ça ne pardonne pas. Il y avait bien des forgerons et autres artisans du cuivre et du verre, mais s’ils m’ont laissé en cadeau l’amour de l’odeur du fer chaud, de la forge, du bruit du marteau, le fait d’être douée de mes mains et de savoir évaluer une distance à l’œil, de pouvoir tracer une droite à main levée, ils ne me seront d’aucun secours cette nuit si je dois rentrer chez moi dans la nuit.
Tu t’éparpilles ! Concentre toi sur le son !
Je repars.