par Doreen Valiente
Mais revenons plutôt à ce remarquable mais trop peu connu
personnage qu’était George Pickingill. Il est né à Hockley, Essex en 1816 et est
mort à Canewdon en 1909. Bien qu’il n’était qu’un simple ouvrier agricole il
pouvait remonter sa généalogie sur des siècles, jusqu’à Julia la sorcière de
Brandon, qui fut tuée en 1071. Selon mon informateur de l’Essex, depuis cette
époque chaque génération de la famille Pickingill a fourni des prêtres à
l’Ancienne Religion. « Old George » lui-même était considéré avec crainte dans
le village de Canewdon, à cause de ses pouvoirs étranges, et des nombreuses
histoires qui couraient à son sujet. Eric Maple en a relatées certaines dans son
livre « The Dark World of Witches ».
Dans un journal à l’époque de la mort de Pickingill, une nécrologie affirmait
que l’Angleterre n’avait produit que deux magiciens remarquables : George
Pickingill et Merlin ! Durant sa vie il fut consulté par des personnes venant de
tout le pays et même d’Europe et d’Amérique. Deux Maîtres Maçon, qui furent plus
tard membres fondateurs de la « Societas Rosicruciana in Anglia », d’où émergea
plus tard l’Ordre de la Golden Dawn, furent les élèves de Georges Pickingill. Il
s’agit d’Hargrave Jennings et W.S. Hughan. Il faut noter qu’un des buts déclarés
de la S.R.I.A. était de permettre aux maçons d’étudier l’antiquité de l’Art
ainsi que de rassembler des informations sur « ces mystérieuses sociétés qui
existaient lors des âges sombres lorsque la force était le droit, lorsque la
main de chaque homme se levait contre son frère et lorsque de tels groupes
étaient nécessaires pour protéger le faible du fort. »
Dans l’article de « The Wiccan » on pouvait lire : « Un petit groupe de Maîtres
Maçon ont établi une relation longue et fructueuse avec George Pickingill à
partir des années 1850.»
Ces Francs-maçons faisaient leurs les idées rosicruciennes et cherchaient à
vérifier secrètement que Francs-Maçons et Rosicruciens étaient tous deux issus
de l’ancienne religion.
« Old George » alarma ces Maçons Rosicruciens en leur démontrant sa maîtrise de
divers élémentaux. Il les fascina en expliquant « les secrets intimes de la
Maçonnerie. » Aucun de ces Maîtres Maçons ne pouvait comprendre comment ce
non-maçon avait pu pénétrer les mystères. Ils ont dû admettre à contre cœur que
le Culte Sorcier possédait un certain savoir secret.
Mon informateur continue en parlant de ce qui est selon lui la véritable origine
du fameux « Cipher MS » qui entra en possession de la S.R.I.A. et à partir
duquel les rituels de la Golden Dawn ont été élaborés. Il dit que Hargrave
Jennings a retrouvé des manuscrits soi-disant rosicruciens qui faisaient partie
de l’héritage laissé par J.B. Ragon un occultiste français décédé en 1862. A
partir de ces manuscrits où étaient détaillés une structure en degrés, des
rituels, etc… Hargrave Jennings avec l’aide de George Pickingill a concocté le
« Cipher MS ».
Si cette histoire est exacte, elle résout une des grandes énigmes liées à ce
sujet épineux, à savoir que même si le Cipher MS était supposé venir du
continent il a été décodé en anglais.
Hargrave Jennings a pris la précaution de demander une facture lorsqu’il a
acheté les manuscrits de Ragon et si je comprends bien ce que dit mon
informateur, il l’a montré en même temps que le manuscrit codé qu’il avait
lui-même concocté en se servant d’un code trouvé dans un vieux livre du British
Museum. Il a dit aux Frères de la S.R.I.A. fort impressionnés que la possession
de ces documents affranchissait son ou ses propriétaires de retrouver une
branche de l’authentique fraternité Rose Croix. Mon informateur affirme :
« Il est inutile de préciser que Jennings a omis de mentionner qu’il avait
collaboré avec une des sorcières les plus connues d’Angleterre pour amender et
modifier ces rituels authentiques. »
Cette histoire sur la fondation de l’Ordre de la Golden Dawn d’après des rituels
élaborés à partir du Cipher MS a été formidablement détaillée et documentée par
Ellic Howe dans « The Magician of the Golden Dawn » auquel je renvoie le lecteur
qui veut en savoir plus sur ce sujet qui n’est pas le mien. Mon informateur
décrit la Golden Dawn comme ayant été « fondée sur une série de montages
ingénieux » mais je pense qu’il faut rajouter que ces mystifications n’ont pas
forcement étaient accompagnées de mauvaises intentions et que l’Ordre de la
Golden Dawn participa largement à l’étude sérieuse de l’occultisme en Angleterre
et en Amérique.
Pour en revenir aux « neuf covens » de George Pickingingill, ils ont été fondés,
selon mon informateur, dans le Norfolk, l’Essex, l’Hertfordshire, le Sussex et
l’Hampshire sur une période de 60 ans. A chaque fois on se servait des mêmes
rites de base mais « Old George » modifiait à chaque fois des phrases et
introduisait de nouveaux concepts.
Ces covens de Pickingill étaient toujours dirigés par une prêtresse qui pouvait
conduire les rites et elle le faisait ! Cette idée est censée venir de sources
scandinaves et françaises.
Il y a eu autrefois de nombreux établissements scandinaves en East Anglia comme
l’atteste la toponymie. Il y eu plus tard une irruption d’émigrants français et
flamands qui ont emporté avec eux leurs coutumes secrètes. L’idée de covens
dirigés par une femme n’était pas acceptable pour certains leaders héréditaires
du culte sorcier. Ils avaient l’habitude de covens dirigés par un homme, le
Maître ou le Magister comme on l’appelait. C’était lui qui acceptait des
candidats des deux sexes. D’ailleurs, ils préféraient (tout naturellement je
pense si l’on considère le climat anglais) conduire le rite en restant habillé
plutôt qu’en état de nudité rituelle. Mais, ils reconnaissaient la tradition
héréditaire dont a hérité la famille Pickingill, et les deux branches du culte
sorcier connaissaient la succession des « trois rites » qui sont devenus les
« trois degrés » actuels.
On m’a dit qu’il y avait une autre raison pour laquelle les covens sorciers
secrets et héréditaires étaient réticents à l’égard de George Pickingill, c’est
parce qu’il militait ouvertement pour renverser la religion chrétienne et
l’establishment en général. A son époque il était bien osé et déraisonnable
d’agir de la sorte, surtout pour un pauvre. « Que Dieu bénisse le seigneur et
les siens et qu’il nous laisse à notre place » était pour ainsi dire un article
du credo des chrétiens et on pouvait être jugé, emprisonné et déporté si on y
contrevenait comme l’ont compris à leur dépends les « Martyrs de Tolpuddle » du
Dorset lorsqu’ils ont essayé de créer un syndicat. D’autres leaders sorciers
avaient de bonnes raisons de penser que la discrétion était préférable à cette
époque.
« Old George » détestait à ce point le christianisme qu’il acceptait même de
collaborer avec des satanistes déclarés et ce fut un argument de plus contre
lui. Contrairement à l’image de la sorcellerie que l’on retrouve dans la presse
à scandale, les vraies sorcières ne pratiquent pas un « culte diabolique » et
n’invoquent pas Satan. Elles pensent que leur Ancienne Religion est le culte
indigène de l’occident, qu’il est bien, bien plus ancien que le christianisme,
et que Satan n’est rien de plus qu’un personnage de la mythologie chrétienne et
que les satanistes ne sont que des chrétiens embrouillés.
C’est pour toutes ces raisons que la réelle importance de Old George Pickingill
et le rôle qu’il a joué dans le revival actuel de la sorcellerie ne sont pas
reconnus. Il est remarquable pourtant que ceux qui disent le plus de mal de la
sorcellerie contemporaine sont des personnes qui ont suivi une autre voie
occulte. Cela fait irrésistiblement penser à la définition de H.G. Wells de
l’indignation morale : « de la jalousie avec une auréole».